Les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) maintiennent le lancement de leur monnaie commune, l’Eco, pour 2027. Le communiqué final de la 66e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, le 15 décembre à Abuja au Nigeria, rapporte que «la Conférence félicite le Comité de Haut Niveau sur les Modalités Pratiques pour le lancement de l’Eco pour le travail accompli et pour les importants consensus auxquels ils sont parvenus dans le cadre de la mise en œuvre des instructions de sa 65e Session ordinaire.»
Plus important, poursuit le communiqué, «le Sommet adopte les critères proposés par le Comité de Haut Niveau pour la sélection des États membres candidats actuels ou futurs au lancement de l’Eco», et «instruit la Commission, en collaboration avec l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO) d’assurer l’intégration de ces critères dans le Protocole portant l’Accord de l’Union monétaire de la Cedeao.»
Et pour finir sur ce volet, les chefs d’États de la région «exhortent le Comité de haut niveau, en collaboration avec la Commission, à intensifier ses efforts en vue d’assurer le respect des délais impartis pour le mise en place et l’opérationnalisation des institutions nécessaires au lancement de l’Eco.»
De belles intentions en somme pour remettre au goût du jour l’avènement de cette monnaie unique ouest-africaine attendue depuis des décennies et soutenue, ces dernières années, par ceux qui se disent africanistes et souverainistes.
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Seulement, entre les vœux et la réalité du terrain, il y a un gap que les dirigeants de la région n’ont pas réussi à combler pour l’avènement de cette monnaie unique dont on connait le nom et les couleurs des billets depuis quelques années. Au-delà des souhaits des chefs d’Etat exprimés lors de leur dernière rencontre à Abuja, tout semble indiquer que le lancement de cette monnaie en 2027 sera difficile à réaliser et ce pour diverses raisons.
En premier lieu, pour intégrer le cercle des pays devant entamer le lancement de cette monnaie unique de la Cedeao, la feuille de route, telle qu’approuvée par la conférence des chefs d’État et de gouvernement, requiert des États membres de respecter tous les critères de convergence à l’horizon 2026. Ces critères sont regroupés en deux catégories: de premier et de second rang.
Les critères de premier rang englobent le ratio du déficit budgétaire/Produit intérieur brut (PIB) inférieur ou égal à 3,0% et un taux d’inflation annuel en moyenne inférieur ou égal à 5,0%. Ces critères portent également sur un financement du déficit budgétaire par la Banque centrale inférieur ou égal à 10% des recettes fiscales de l’année précédente et enfin, des réserves brutes de change supérieures ou égales à trois mois de couverture des importations.
Quant aux critères de second rang, ils ont à trait à la stabilité du taux de change à plus ou moins 10% par rapport à l’UCAO (unité de compte de l’Afrique de l’Ouest) et au ratio dette publique/PIB inférieur ou égal à 70%.
Et c’est là que les difficultés apparaissent. S’il n’est plus attendu des pays candidats de respecter ces critères durant les trois années précédant le lancement de l’Eco, le faire en 2026 ne sera pas non plus évident pour tous. Il sera en effet ardu pour certains pays de se conformer au ratio du déficit budgétaire/PIB (inférieur ou égal à 3%). Comme il leur sera également plus difficile de respecter le taux d’inflation annuel moyen inférieur ou égal à 5%.
Ce sont deux des grandes puissances économiques de la région, le Nigeria et le Ghana, qui auront particulièrement du mal à respecter ces critères, particulièrement celui du taux d’inflation. Pour illustrer cette difficulté, il faut souligner que le taux d’inflation au Nigeria n’est jamais tombé au-dessous de 8% depuis décembre 2014 et culmine actuellement à 34,6% (novembre 2024). Pour retrouver un taux d’inflation inférieur à 5% au Nigeria, il faut remonter à octobre 2007 (4,6%). Autant dire qu’il est quasiment impossible pour ce pays de s’aligner sur le critère d’inflation de 5% en 2026
Autre pays, mêmes difficultés. La dernière fois où le Ghana a enregistré un taux d’inflation mensuel inférieur à 5%, ce fut en juillet 2002 (4%): les taux d’inflation annuels dans ces pays ont toujours été supérieurs à 5%.
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À quel miracle pourrait-on s’attendre pour que ces pays puissent régler leur problème inflationniste en 2025 afin de parvenir à un taux d’inflation inférieur ou égal à 5% une année plus tard? C’est quasiment impossible.
Ce problème d’inflation concerne particulièrement les six pays de la Cedeao qui ne font pas partie de la zone CFA et qui sont depuis 2020 regroupés au sein de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (Zmao).
Réunis le 20 septembre 2024, ces pays -Nigeria, Ghana, Guinée, Sierra Leone, Liberia et Gambie- avaient reconnu «qu’il y a encore des efforts à fournir pour harmoniser les points de vue entre les différentes parties». Pris dans leur globalité, ces pays semblent plus éloignés des critères de convergence que ceux de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), notamment en ce qui concerne les critères de premier rang.
Parmi les 15 pays de la Cedeao, seul le Cap-Vert affiche un taux d’inflation très largement inférieur à 5% depuis mai 2023. Ce taux est même inférieur à 2% depuis octobre 2023.
Mais ce critère inflationniste, fondamental à la convergence économique, n’est pas le seul à poser des problèmes à certains pays. La ratio du déficit budgétaire/PIB inférieur ou égal à 3% sera difficile à atteindre pour certains pays en 2026, même si globalement les pays de la région font d’importants efforts pour réduire leurs déficits budgétaires.
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Sachant que pour lancer l’Eco en 2027, il faudra que les pays membres remplissent tous les critères de convergence d’ici fin 2026, il s’avère que très peu de pays pourraient être de la partie. En 2022, aucun État membre de la Cedeao ne remplissait l’ensemble des critères de convergence macroéconomique, comme ce fut le cas en 2021. En 2023, seul le Togo avait annoncé avoir rempli tous les critères de convergence.
En 2026, les pays de la zone CFA pourraient eux remplir les critères de convergence grâce à la discipline imposée par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et figurer parmi la première vague des pays qui lanceront l’Eco. Le président ivoirien Alassane Ouattara a souligné en septembre dernier que «la Côte d’Ivoire est prête à se conformer aux exigences de convergence dès 2025.»
Au-delà des critères de convergence, d’autres variables peuvent entrer en jeu et retarder le lancement de la monnaie unique. La sortie des trois pays de la Confédération des États du Sahel (CES) -Mali, Niger et Burkina Faso- de la Cedeao avec l’objectif de créer leur propre monnaie unique vient encore compliquer la donne. Au final, ce sont donc autant de candidats qui feront défaut à l’Eco, d’autant plus que ces trois pays de l’Uemoa figurent parmi les meilleurs élèves en termes de convergence économique.
Un obstacle nommé Nigeria
Le Nigeria a jusqu’à présent constitué un obstacle au lancement de l’Eco. La première puissance économique avec 75% du PIB de la région, ne fera certainement pas partie des pays qui lanceront l’Eco en 2027.
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Enfin, si la majorité des pays sont pour le lancement de cette monnaie unique, certains observateurs demeurent sceptiques quant aux impacts réels d’une telle monnaie dans laquelle le Nigeria devrait jouer un rôle fondamental du fait de son poids économique et démographique. Or, la manière dont le Nigeria a géré sa monnaie ne pousse pas à l’optimisme. Le naira nigérian s’est déprécié de plus de 234% entre début juin 2023 (460 nairas pour 1 dollar) et 25 décembre 2024 (1.541 nairas pour 1 dollar), aggravant davantage l’inflation dans ce pays.
D’ailleurs, même les souverainistes de la région, à l’image du nouveau régime sénégalais, semblent tempérer leurs ardeurs quant à la sortie rapide du franc CFA, une monnaie, qui quoi qu’on en dise et malgré ses défauts, a contribué à la stabilité des prix au niveau des pays de l’Uemoa. Dans ces conditions, le lancement l’Eco en 2027 risque, une fois de plus, d’être repoussé.