Qu’est-ce qui a poussé l’Union africaine à signer, le 31 mai 2019, un protocole d’accord avec Huawei visant à consolider leur collaboration et établir les dispositions nécessaires pour assurer une coopération efficace en matière de technologie de l’information et des communications, au moment où les Etats-Unis ont mis le géant chinois au banc des entreprises avec lesquelles il ne faut pas coopérer?
C’est donc un pied au nez que l’UA vient de faire à Trump, qui n’a pas manqué de solliciter le soutien du continent vis-à-vis du géant chinois, allant jusqu’à proposer à certains pays africains une aide financière, en contrepartie de la fermeture de leur marché à Huawei.
Dans ce contexte, comment expliquer alors la position africaine et son attachement à Huawei?
Plusieurs facteurs expliquent le choix du positionnement de l’Afrique.
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D’abord, ce positionnement est stratégique. En effet, le géant chinois, à l’instar de la Chine, a tissé sa toile en Afrique avec une première conquête en 1998 au Kenya. Depuis, ce sont plus d’une quarantaine de pays africains qui utilisent les solutions du géant chinois. De Casablanca au Cap, d’Abidjan au Caire, Huawei a su s’imposer.
En effet, Huawei est devenu en l’espace de quelques années, le second vendeur de smartphones en Afrique, avec une part de marché de 12,75%, derrière le coréen Samsung.
Plus important encore, le géant chinois a contribué très fortement à la mise en place et à la modernisation d’énormes pans de l’infrastructure informatique des réseaux de télécommunication d’une trentaine de pays africains, notamment dans les grands pays du continent: Afrique du Sud, Maroc, Egypte, Algérie, Cameroun, Ethiopie, Zambie, Angola, etc.
En outre, Huawei est engagé en Afrique dans des programmes portant sur les dernières technologies, notamment WCDMA, GSM, CDMA, NGN, Datacom, réseau à large bande, réseaux intelligents, vidéo surveillance, intelligence artificielle, internet des objets, etc.
A ce titre, en février dernier, le géant chinois des télécoms a annoncé son intention de créer sa première plateforme de données cloud en Afrique, où elle sera basée au Caire, mais également au Moyen-Orient.
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Cette position dominante s’explique par le fait que Huawei est l’un des principaux fournisseurs mondiaux d’infrastructures et d’appareils intelligents dans les domaines des technologies de l’information et des communications (TIC). Le géant chinois est l’un des rares à disposer des solutions intégrées dans quatre domaines: réseaux de télécommunications, technologies de l’information, dispositifs intelligents et cloud computing.
En clair, en matière de télécommunications, l’Afrique ne peut plus se passer du géant chinois qui domine très fortement le marché de la 4G et des infrastructures. Une domination qui s’annonce écrasante au niveau de la 5G naissante.
Aujourd’hui, Huawei est à l’origine de la construction de plus de 70% des réseaux internet 4G africains. Le géant chinois est également très bien positionné pour la 5G naissante, en accompagnant les géants des télécoms africains.
Cette domination de Huawei sur le marché africain s’explique par le fait qu’aucun autre fournisseur n’est capable de construire une infrastructure de télécommunication à un meilleur coût, de qualité supérieure et à ce rythme soutenu.
Ensuite, si l’Afrique est dépendante de Huawei, c’est qu’aussi la majorité des pays africains ne disposent pas suffisamment de ressources financières pour financer des projets colossaux dans les domaines des TIC. En conséquence, ces pays recourent à des prêts et à des subventions chinois.
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L’Etat et les banques chinoises initient donc, globalement, les financements des grands projets réalisés par Huawei en Afrique, à travers des prêts à taux préférentiels, ce qui est loin d’être souvent le cas pour les firmes européennes ou américaines, aux ressources beaucoup plus limitées et surtout devant répondre à certaines contraintes règlementaires.
En outre, Huawei bénéficie de l’impact de la coopération sino-africaine. Cette coopération s’est d’ailleurs renforcée au cours de ces dernières année pour faire de la Chine le premier partenaire économique de l’Afrique.
Depuis une décennie, la Chine est de loin le plus grand partenaire commercial de l’Afrique et aussi le premier investisseur au niveau du continent, très loin devant les Etats-Unis. Raison pour laquelle les forums Chine-Afrique sont les plus courues par les présidents et les chefs de gouvernement africains.
Il y a là de quoi, quand on sait que la Chine finance et construit plus de la moitié des infrastructures (barrages hydroélectriques, ports, aéroports, routes, ponts, centrales électriques, etc.) du continent.
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A ce titre, lors du Forum sur la coopération sino-africaine de septembre 2018, la Chine a promu une aide de 60 milliards de dollars supplémentaires au développement du continent, dont 15 milliards de dollars d’aide gratuite et de prêts sans intérêts dans le cadre de son «Belt & Road initiative».
Il s’agit là d’un projet gigantesque, pour lequel tous les pays d’Afrique entendent tirer profit, comme en atteste la forte présence de 40 chefs d’Etat et de gouvernement au 2e Forum de coopération international Belt & Road, organisé du 25 au 27 avril dernier.
En outre, les pays africains étant souvent très endettés vis-à-vis de Pékin, à l’heure des investissements, ils n’ont pas d’autre choix hormis celui de recourir à l’aide de la Chine, très peu regardante sur les contextes sociaux et environnementaux, en matière de prêts octroyés.
C’est ainsi que depuis 2000, la Chine est devenue le principal créancier de l’Afrique. Les prêts accordés par le gouvernement, les banques et les entreprises chinoises ont dépassé 125 milliards de dollars, selon les données du cabinet américain China Africa Research Initiative (CARI, Université Johns-Hopkings).
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A elle seule, la Chine pèse aujourd’hui plus de 15% de la dette extérieure globale africaine.
De plus, de nombreux pays africains ayant peu de réserves en devises pour financer certains projets, la Chine offre des solutions avec des offres de financement taillées sur mesure, baptisées «Financement angolais». En contrepartie d’un prêt pour la réalisation d’un projet d’infrastructure, le pays africain accorde des concessions dans l’exploitation de ressources naturelles (pétrole, or, cobalt, gaz, fer, etc.) à la Chine.
Enfin, concernant le risque de sécurité, si cher aux occidentaux et selon lequel la technologie de Huawei, fondée en 1987 par un ancien ingénieur de l’armée chinoise, représente un risque pour la sécurité en permettant au gouvernement chinois d’espionner les entreprises et les pays, les Africains savent d’ores et déjà qu’ils sont impuissants face à cette situation.
D’ailleurs, l’année dernière, des accusations ont été portées sur la Chine, accusée d’espionner le siège de l’Union Africaine d’Addis-Abeba. Un siège, du reste, construit et offert par la Chine à l’Afrique et dont le système informatique est principalement installé par Huawei.
Selon des informations révélées en 2018 par le quotidien Le Monde, les informaticiens de l’institution panafricaine avaient découvert qu’entre minuit et 2 heures du matin, les serveurs étaient très actifs, alors que personne ne travaillait à ce moment-là dans l’immeuble abritant le siège de l’Union africaine. Des données informatiques de l’organisation ont donc été transférées à plus de 8.000 kilomètres de là, vers des serveurs basés à Shanghai, mégalopole chinoise.
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L’Union africaine a fini par nier l’existence de cet espionnage. Les pays africains sont naturellement moins regardants vis-à-vis des soupçons d’espionnage et des liens entre Huawei et les services de renseignements chinois.
Après tout, tous les pays africains savent qu’ils sont espionnés par les grandes puissances de la planète, tout particulièrement les anciennes puissances coloniales (France et Royaume-Uni, notamment) et les Etats-Unis. Mais ils sont contraints de reconnaître qu’ils sont impuissants face à ces technologies d’espionnage de pointe, développées par ces pays. Pourquoi donc se focaliser sur l’espionnage chinois?
Que risquent les Africains en s’alignant derrière Huawei? Evidemment, la décision de Google de restreindre l’utilisation de système Android par l’entreprise chinoise risque, dans un premier temps, de porter un coup au géant chinois en portant préjudice à ces clients africains, du fait que les smartphones Huawei ne pourront plus offrir les services Gmail, YouTube ou encore Google Maps à leurs détenteurs africains.
Toutefois, sur ce point, le géant chinois a tenu à rassurer ses clients, en annonçant qu’il continuera à fournir des mises à jour de sécurité et des services après-vente à tous les smartphones et tablettes Huawei et Honor déjà vendus ou en stock à travers le monde. De plus, Huawei a d’ores et déjà déposé le brevet d’Ark OS destiné à remplacer Android.
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Ensuite, les restrictions de ventes des équipementiers occidentaux à Huawei pourraient aussi avoir des effets négatifs sur les réseaux de télécommunications africains.
Ainsi, si les restrictions d’accès de l’entreprise chinoise aux technologies américaines et de ses alliés deviennent une réalité, ce sont plusieurs projets de construction de centres de données et de réseaux télécoms en Afrique qui risquent d’être impactés.
«Huawei a construit d’énormes pans de l’infrastructure informatique actuelle de l’Afrique. Si les Etats-Unis réussissent à paralyser l’entreprise, les conséquences pourraient être très douloureuses pour le secteur technologique africain en plein essor», souligne à cet égard Eric Olander de The China Africa Project.
Seulement voilà: les Chinois sont loin d’être désarmés. D’abord, Huawei est un groupe très intégré, qui a su, au fil du temps, atténuer sa dépendance vis-à-vis de ses partenaires.
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Ensuite, dans cette guerre, Pékin aussi affute ses armes. Le gouvernement chinois a, en des termes à peine voilés, menacé de réduire ses exportations de terres rares (scandium, yttrium, néodyme, praséodyme, etc.), des métaux vitaux pour l’industrie américaine et occidentale sachant que l’Empire du Milieu assure plus de 90% de la production mondiale de cet ensemble de 17 métaux indispensables aux technologies de pointe, vitaux, entre autres, pour la fabrication des smartphones, des écrans plasma, des ordinateurs, des véhicules électriques et hybrides, mais aussi des tableaux d’affichage, dans l’industrie aéronautique, mais aussi pour les capteurs de radars essentiels à l’industrie de l’armement.
Ainsi, en 2018, d’après les données de l’US Geological Survey, la Chine a produit 120.000 tonnes de terres rares (71% de la production mondiale), contre 20.000 tonnes pour l’Australie et 15.000 tonnes pour les Etats-Unis. La Chine a déjà recouru à cette arme, face au Japon en 2010, avec, d’ailleurs, beaucoup de succès.
Les craintes de voir les projets de Huawei en Afrique connaître un arrêt sont donc bien minces, d’autant que la 5G en cours de déploiement est largement dominée par la technologie chinoise.
Toutefois, le gouvernement américain pourrait utiliser sa propre mesure de rétorsion: celle de l’usage du dollar à l’encontre des pays qui voudraient encore collaborer avec le géant chinois, comme il le fait actuellement avec certains pays qui acquièrent du matériel militaire russe. Mais à cet égard aussi, il convient de souligner que de plus en plus de pays africains utilisent le yuan dans leurs transactions avec la Chine, en plus du troc.
C’est en conséquence en toute logique que les pays de l’Union africaine ont su rapidement faire leur choix en optant pour le renforcement de ces relations avec Huawei, et donc avec la Chine. Malgré les menaces tonitruantes de Donald Trump.