Maroc, Sénégal, Tunisie... ces pays africains qui forment l'élite francophone du continent

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Le 15/07/2018 à 13h01, mis à jour le 15/07/2018 à 13h07

Quels sont les pays africains francophones qui accueillent le plus d’étudiants du continent dans leurs établissements d’enseignement supérieur? Trois pays se distinguent. Décryptage.

Chaque fois que l'occasion se présente, l'université de Dakar s'enorgueillit d'être l'une des rares dans le monde à compter quatre chefs d'Etat en exercice parmi ses anciens élèves. En effet, en plus de Macky Sall du Sénégal, Patrice Talon du Bénin, Ibrahim Boubacar Keïta du Mali et Roch Marc Christian Kaboré du Burkina Faso ont été formés dans ce temple du savoir de l'Afrique francophone. 

Lui rendant la réplique, les écoles et universités marocaines ne se privent pas de rappeler que le président comorien Azali Ansoumani, celui de la Mauritanie Mohamed Ould Abdel Aziz, ou encore les deux précédents présidents du Burkina Faso, à savoir Thomas Sankara et Blaise Compaoré ont tous fréquenté leurs amphithéâtres ou leurs rangs. En réalité, une bonne partie de l'élite du continent est issue d'une formation internationale dans les établissements africains. 

Autrement dit, les grandes universités et grandes écoles européennes ou américaines ne sont plus les seules à former l’élite francophone africaine. De plus en plus de ministres et grands commis des Etats africains suivent des études au sein même du continent. Certains pays ont été les pionniers dans ce domaine. En Afrique francophone, trois pays se distinguent: le Sénégal, le Maroc et la Tunisie.

Sénégal, pionnier en matière de formation des élites africaines francophones

Le Sénégal jouit, depuis la période coloniale, d’une excellente réputation en matière de formation des élites africaines. Ainsi, plusieurs dirigeants de l’Afrique de l’Ouest et centrale ont fréquenté les bancs de l’école William Ponty, créée en 1903, dont Félix Houphouet-Boigny (Côte d’Ivoire), Modibo Keita (Mali), Hamani Diori (Niger), Hubert Maga (Bénin), Maurice Yaméogo (Burkina Faso), etc.

Cet héritage a contribué à faire du système d’enseignement et de formation supérieure du Sénégal l’un des plus avancés du continent africain.

Malgré le recul enregistré au cours de ces trois dernières décennies, notamment à cause de l’instabilité au niveau du public et des grèves multiples, le Sénégal peut toujours se targuer d’avoir un enseignement de qualité offrant une plus grande diversité de formation grâce à ses universités publiques et privées, ses grandes écoles et ses nombreux instituts et écoles privées.

Du fait que certains établissements aient acquis depuis longtemps une vocation régionale, les étudiants étrangers représentent entre 20 et 30% des inscrits dans de nombreux établissements publics.

Depuis le début des années 1990, le privé a pris le relai. Et selon certaines statistiques, on compte plus de 16.000 étudiants étrangers venant particulièrement du Gabon, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Burkina Faso, etc.

La dévaluation du Franc CFA en 1994 de quelque 50% a beaucoup contribué au développement du secteur d’enseignement privé sénégalais qui a pu se substituer à des destinations comme la France, le Maroc et la Tunisie dont les coûts devenaient exorbitants. De même, la crise ivoirienne a boosté la fréquentation des établissements privés sénégalais dont certaines affichent d’excellentes qualités de formations, calquées sur les modèles anglo-saxons.

Ainsi, Dakar est considérée comme étant la capitale ouest-africaine de l‘enseignement supérieur francophone. Outre l’université Cheikh Anta Diop, des établissements comme le Centre africain des études supérieures en gestion (CESAG), créé en 1985, l’Institut supérieur de management (ISM) créé en 1992 et l’Institut africain de management (IAM créé en 1996) sont considérés comme des références en matière de formation supérieure en Afrique.

Les étudiants venant du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Gabon, du Maroc et de la Mauritanie y sont les plus nombreux. 

Plusieurs facteurs expliquent le choix du Sénégal comme destination pour les études. D’abord, il y a la qualité et la diversité des formations (médecine, pharmacie, économie, gestion, droit, ingénierie, etc.) grâce à des cursus et un corps professoral composé de prestigieux universitaire. La reconnaissance des diplômes que l’on ne trouve pas forcément ailleurs en Afrique. La proximité pour les étudiants d’Afrique de l’ouest et centrale. Par ailleurs, les étudiants bénéficient des équivalences de diplômes d’université étrangères les plus prestigieuses en France et aux Etats-Unis. En outre, l’absence de tracasseries administratives et l’intégration facile dans la société sénégalaise figurent parmi les facteurs qui poussent de nombreux étudiants à choisir le Sénégal comme terre d’étude.

Enfin, facteur non négligeable, les études au Sénégal coûtent beaucoup moins cher qu’en Europe. Ainsi, pour les étudiants étrangers, les coûts des études, hors conventions, sont très abordables en raison d’un montant annuel de 305 euros pour la licence, 610 euros pour le master et 1.525 euros pour le doctorat. Enfin, on ne peut pas aussi négliger la stabilité politique, la sécurité et l’accueil (Teranga) sénégalais.

Maroc: le pays qui accueille le plus d’étudiants boursiers du continent

Le Maroc est l’un des pays les mieux dotés en universités, écoles et instituts supérieurs en Afrique. A ce titre, plus de 300 établissements publics et privés (universités, instituts, écoles, centres de formation professionnelle, etc.) sont répertoriés comme étant à même de fournir des formations de qualité aux étudiants étrangers au Maroc. Ses nombreuses universités forment dans différents domaines: médecine, pharmacie, sciences humaines, etc. Le Maroc dispose également d’un nombre élevé et diversifié d’écoles et d’instituts de formation dont de prestigieuses écoles d’ingénieurs: INPT, INSEA, Ecole Mohammedia des ingénieurs, Ecole Hassania des travaux publics, Ecole nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM), ENA, Ecole d’architecture, etc.

Et contrairement au Sénégal et à la Tunisie, au Maroc, c’est le public surtout qui est derrière la formation des élites africaines. En effet, le Maroc a mis en place une agence dédiée, l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI) créée en 1986.

Ainsi, à fin 2016-2017, ce sont plus de 25.000 étudiants issus de 47 pays du continent qui ont été formés dans différentes filières universitaires, techniques et formations professionnelles des établissements publics marocains dans le cadre de la coopération entre le Maroc et les pays africains. Le Royaume a aussi formé plus de 5.000 cadres africains du secteur public dans une vingtaine de domaines (diplomatie, douane, eau et assainissement, etc.).

Les lauréats du royaume occupent de nombreux postes de responsabilité aussi bien dans les pays africains qu’en dehors du continent.

Alors qu’ils étaient à peine 1.100 étudiants à fréquenter l’enseignement supérieur public marocain en 1994, ils sont actuellement plus de 10.000 étudiants africains dans le système public, dont 8.000 bénéficient de bourses octroyées par le Royaume du Maroc. Rien qu’au titre de l’année universitaire 2017-2018, ce sont 2.600 nouveaux étudiants qui ont été accueillis par le Maroc dans ses établissements publics. A noter que 40% des étudiants viennent des pays de la CEDEAO avec lesquels le Maroc est lié par des accords de coopération.

Ces étudiants fréquentent les université, grandes écoles et instituts publics réputés pour la qualité de leur formation (ISCAE, ENCG, ENA, ENSEM, ISEM, ESITH, Ecole Mohammedia des Ingénieurs, Ecole Hassania des travaux publics, IAV, INPT, INSEA, ENSIAS, ISERT, etc.) et les centres de formation professionnelle relevant de l’OFPTT.

Si l’offre publique est dominante, le privé aussi s’est développé au cours des trois dernières décennies. Le Royaume compte plusieurs dizaines d'universités (Al Akhawayn university Ifrane, université Mundiapolis Casablanca, Université internationale de Rabat, Université internationale de Casablanca, etc.), écoles et instituts privés (HEM, HECI, ESG, ESIG, CESIM, ESCA, EMSI, ESTEM, Sup de Co, etc.) qui accueillent plusieurs milliers d’étudiants africains.

Après le public et le privé marocains, pour profiter du boom de la demande de compétences en Afrique, le royaume est aujourd’hui devenu un terrain de jeu des écoles de commerce et d’ingénieurs françaises. Elles sont ainsi nombreuses à s’implanter au Maroc qui devient de plus en plus un «hub» pour les formations supérieures en Afrique. Parmi celles-ci figurent, entre autres: Ecole centrale, EM Lyon Business school, Essec, Ecole des mines, INSA Euro Méditerranée, Dauphine, etc. L’ambition de ces écoles est de former les jeunes marocains, mais aussi ceux du continent africain au Maroc. D’ailleurs, le tiers des étudiants de l’Essec et de l’Ecole centrale viennent de l’Afrique subsaharienne.

Ces prestigieuses écoles françaises arrivent à attirer des étudiants du continent africain grâce aux frais de scolarité beaucoup moindres que ceux pratiqués en France et surtout du fait d’un coût de la vie beaucoup plus faible au Maroc.

Le Maroc gagne avec l’arrivée de ces écoles prestigieuses en améliorant et en diversifiant l’offre de formation supérieure locale, tout en se positionnant comme en hub régional de formation pour les pays francophones. Il serait autour de plus de 8.000 étudiants africains à fréquenter les établissements privés au Maroc.

Au total, le royaume accueillerait aujourd’hui quelque 18.000 étudiants africains dans ses établissements publics et privés.

Le nombre élevé d’étudiants s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, grâce aux liens séculaires et historiques entre certains pays du continent et le Maroc, ce dernier offre annuellement des bourses d’études aux ressortissants de nombreux pays du continent. Au titre de l’année universitaire 2017-2018, sur les 3.000 étrangers inscrits dans les établissements publics, 2.600 viennent de l’Afrique. Par ailleurs, la gratuité des études, y compris pour les non-boursiers, contribue à l’attractivité de la destination Maroc. 

La diversité des offres de formations proposées aux étudiants et la qualité des études contribuent également à renforecer l’attractivité de la destination Maroc pour les études supérieures des étudiants africains. En outre, l’absence de visa pour un certain nombre de pays (Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, etc.) et surtout l’absence de tracasseries administratives pour l’obtention de la carte de séjour favorisent le choix du Maroc. A cela s’ajoute aussi la reconnaissance des diplômes octroyés par le Maroc et la qualité de vie sur place qui sont aussi déterminantes dans le choix du Maroc comme pays de destination des étudiants africains. Enfin le coût de formation dans les écoles privées marocaines offrant la double diplomation avec des établissements européens, notamment français ou espagnols, contribue aussi à l’attractivité des établissements privés marocains.

Tunisie: qualité de la formation et nouvelles ambitions africaines

En matière de formation des élites africaines, la Tunisie s’est spécialisée dans l’accueil des étudiants du privé, même si le pays accorde quelques bourses d’études dans ses établissements publics au profit des ressortissants de certains pays (Mauritanie, Sénégal, etc.) dans le cadre de la coopération bilatérale. La grande majorité des étudiants formés et en cours de formation dans ce pays, dont le système de formation est réputé par sa qualité, relève du secteur privé.

Une qualité qui a poussé des étudiants d’Afrique subsaharienne a faire de la Tunisie une destination privilégiée pour poursuivre leurs études dans différentes filières: management, médecine, télécommunication, expertise comptable, etc. Le bouche à oreille a contribué à faire de la Tunisie une destination prisée pour les études supérieures en Afrique.

En 2010, le pays comptait 12.000 étudiants africains dans ses établissements de formation supérieure, dont une très grande majorité fréquentant le système privé.

Plusieurs facteurs y ont concouru. D’abord la qualité des formations offertes par les universités et écoles tunisiennes est réputée en Afrique et les diplômes sont reconnus.

Ensuite, il y a la coopération qui a permis à certains étudiants de bénéficier des bourses pour poursuivre leurs études dans les universités tunisiennes. Par ailleurs, le coût des formations est attractif comparativement aux universités européennes. De même, la qualité de la vie aussi pèse sur le choix des étudiants africains.

Toutefois, cette situation a connu un véritable frein avec la révolution de 2010. Le nombre d’étudiant étranger a subitement entamé un trend baissier pour s’établir autour de 4.500 étudiants en 2015 sous l’effet de l'instabilité politique. Beaucoup d’étudiants ont quitté le pays pour d’autres régions jugées plus clémentes comme le Maroc, le Sénégal, etc.

Les agressions, les comportements racistes, les violences physiques, l’insécurité et les tracasseries administratives pour obtenir la carte de séjour qui se sont multipliés durant la période post-révolution ont fini par décourager nombre d’étudiants d’Afrique subsahariens pour poursuivre leurs études en Tunisie.

Face à cette situation, les autorités ont commencé à réagir, mais timidement. De même, certaines organisations ont pris les devants pour inverser le trend baissier. C’est le cas notamment de Tunisia-Africa business council (TABC).

Pour attirer à nouveaux les étudiants d’Afrique subsaharienne, la TABC organise annuellement, depuis 2017, le Tunisian african empowerment forum (TAEF) dont l’objectif est de relancer la Tunisie en tant que destination de choix pour les étudiants africains dans les domaines de l’enseignement et la de formation professionnelle.

La Tunisie compte rattraper son retard et devenir un véritable hub de l’enseignement et de la formation supérieure en Afrique. Elle vise à attirer 20.000 étudiants africains en 2020. La nouvelle stratégie tunisienne est jugée même trop ambitieuse. Pour atteindre cet objectif, l’accent sera mis sur l’amélioration des conditions d’accueil et de séjour des étudiants. A ce titre, plusieurs obstacles doivent être levés dont les démarches pour l’obtention de la carte de séjour, l’hébergement et le transport. En plus, une lutte sans merci doit être menée contre le racisme et les agressions ciblant les étudiants subsahariens. Tout un programme

Par Moussa Diop
Le 15/07/2018 à 13h01, mis à jour le 15/07/2018 à 13h07