La guerre des gazoducs marocain et algérien n’aura finalement pas lieu, la Cédéao a tranché

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Le 11/12/2020 à 16h18, mis à jour le 12/12/2020 à 11h42

Au moment où l'Algérie tente de relancer son vieux projet de gazoduc transaharien, la Cédéao a fait le choix réaliste de celui du gazoduc Nigeria-Maroc et recommande de le fusionner avec son propre Projet d’extension du réseau de gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (Wagpep). Détails.

Le Maroc d'une part et l'Algérie de l'autre défendent bec et ongles chacun un projet devant relier l'Afrique de l’Ouest, le Maghreb et Europe. Mais malgré la remise au goût du jour du vieux projet de gazoduc transsaharien par l’Algérie en fin novembre dernier suite au déplacement de son ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum, les jeux sont déjà faits.

«J’ai rencontré mon frère Geoffrey Onyeama (le ministre nigérian des Affaires étrangères, ndlr) à Abuja. Nous avons eu des discussions fructueuses sur le renforcement des relations bilatérales et la mise en œuvre de projets stratégiques en cours de développement, notamment l'autoroute transsaharienne Lagos-Alger, le pipeline transsaharien et le câble à fibre optique», a tweeté Boukadoum après sa rencontre avec son homologue nigérian.

En clair, avec ce déplacement, l’Algérie voulait relancer le vieux projet du gazoduc Nigeria-Algérie via le Niger et torpiller celui plus ambitieux, réaliste initié par le Maroc et le Nigeria.

Seulement l’espoir du ministre des Affaires étrangères algérien a été rapidement douché par la Communauté économiques des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao). Quelques jours après sa visite en pleine crise sanitaire, le Département en charge de l’Energie et des mines de la Cédéao a réagi en annonçant l’organisation, les 9 et 10 décembre 2020 à Ouagadougou, au Burkina Faso, d’une réunion des experts sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du Projet d’extension du réseau de gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (Wagpep). Il s'agit du projet devant relier le Nigeria au Sénégal, en passant l'ensemble des 13 autres pays. Il s'exécute en plusieurs phases, dont le première concerne quatre pays, à savoir le Nigeria, le Togo, le Bénin et le Ghana.

Ont pris part à la réunion de Ouagadougou, des représentants des ministres en charge des Hydrocarbures et de l’Energie des 15 pays de la Cédéao et plusieurs institutions dont l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uémoa), l’Autorité du gazoduc de l’Afrique de l’ouest (Agao), la Société du gazoduc de l’Afrique de l’ouest (WAPCo), l’Unité de préparation et de développement des projets d’infrastructures de la Cédéao (PPDU), la Nigerian national petroleum corporation (NNPC) et la Société nationale des hydrocarbures et des mines du Maroc (Onhym).

Le communiqué diffusé avant la réunion de la Cédéao précisait que, "l’objectif de la rencontre est d'abord d’échanger avec les Etats membres sur les développements actuels liés au Wagpep". Il s'agissait aussi "de présenter l’état actuel de mise en œuvre du Wagpep, ensuite de faire le point sur les interactions avec le Gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP) et enfin de recueillir les orientations des Etats membres sur le processus de synergie entre Wagpep et Nmgp".

En clair, la Cédéao a désormais opté pour le gazoduc Nigeria-Maroc en appelant à une synergie entre sa commission chargée du projet et les promoteurs du projet de gazoduc Nigeria-Maroc, à savoir la Nigerian national petroleum corporation (Nnpc) et l’Office national des hydrocarbures et des mines du Maroc (Onhym).

Ce choix est justifié selon la Cédéao par le fait que le tracé du gazoduc Nigeria-Maroc et celui du Projet d’extension du réseau de gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (Wagpep), «concourent à des objectifs communs qui sont la valorisation des ressources gazières de la région et l’approvisionnement des pays en énergie propres y compris les Etats membres de la Cédéao». Une partie du projet Wagpep étant déjà construite. 

Du coup, et suite à la réunion de consultation des Etats membres sur le processus de développement du Wagpep qui s’est tenue les 9 et 10 décembre 2020, un mémorandum d’entente est en cours de discussion entre la Commission de la Cédéao et les promoteurs du gazoduc Nigeria-Maroc (Nnpc et Onhym).

Dans leur communiqué, les participants ont demandé à ce que «les études de faisabilité à conduire pour le projet de gazoduc incluent l’analyse de faisabilité pour la fusion des deux projets en un projet unique et que les résultats soient présentés aux Etats membres en vue d’une décision finale».

En clair, et suite à cette réunion, le projet de gazoduc Nigeria-Maroc devient en quelque sorte un projet de gazoduc Cédéao-Maroc.

Par ce choix, les pays de la Cédéao enterrent le projet de la transsaharienne algérienne qui date des années 1980 et qui n'a jamais pu voir le jour.

Il est resté dans les placards avant d’en sortir au lendemain de l’annonce de la mise en place d’un gazoduc Nigeria-Maroc en marge de la visite du roi Mohammed VI au Nigeria en 2016. Il s’agit plutôt d’un gazoduc ouest-africain reliant les pays de la Cédéao à l’Europe via le Maroc.

Le choix des pays de la Cédéao s’explique par le fait que le projet de gazoduc Nigeria-Maroc présente d’indéniables avantages par rapport à celui de Nigeria-Algérie. D’abord, le gazoduc Nigeria-Maroc est plutôt un projet ouest-africain qui va relier plusieurs pays producteurs, futurs producteurs de gaz et consommateurs de gaz de la Cédéao.

Outre le Nigeria qui dispose des plus grandes réserves de gaz du continent, le Ghana, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie et le Sénégal ont découvert aussi d'importantes réserves de gaz au cours de ces dernières années. Si le Ghana et la Côte d’Ivoire ont déjà entamé l’exploitation de leurs ressources gazières, la Mauritanie et le Sénégal vont rejoindre les producteurs africains en 2023. Et le potentiel gazier de la région demeure encore faiblement exploité. D'où l'utilité du gazoduc pour approvisionner les marchés européens en gaz via le gazoduc Nigeria-Maroc. 

Ensuite, sur le plan sécuritaire, le gazoduc de la Cédéao, qui sera en grande partie offshore, présente moins de risques que celui terrestre devant relier le Nigeria à l’Algérie via le Niger quand on sait que cette région est depuis plusieurs années le théâtre d’attaques émanant de groupuscule terroristes (Boko Haram et groupes terroristes sahéliens). Une situation à prendre en considération pour la fiabilité et la rentabilité d’un ouvrage structurant, coûteux et dont dépendront les exportations gazières du Nigeria.

Enfin, le gazoduc transsaharien de 4.128 km devrait coûter beaucoup plus que celui offshore Nigeria-Maroc tout en concernant très peu de pays, alors que celui du Nigeria-Maroc va bénéficier à presque tous les pays de la Cédéao. 

Par Moussa Diop
Le 11/12/2020 à 16h18, mis à jour le 12/12/2020 à 11h42