Tunisie: la dette extérieure étrangle une économie déjà asphyxiée

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Le 09/12/2021 à 15h22, mis à jour le 09/12/2021 à 15h24

La Tunisie s’est endettée à tour de bras depuis la révolution du jasmin. La dette extérieure, qui représente 60% de la dette publique, est devenue insoutenable au moment où le pays fait face à un déficit budgétaire abyssal et se voit fermer les portes des créanciers mondiaux.

La publication du rapport de Bank of America sur la situation financière de la Tunisie, qui se complique de jour en jour, ne rassure pas. Selon la banque américaine, la Tunisie affiche un besoin de financement extérieur de 1,9 milliard de dollars, soit 5,6 milliards de dinars, au titre du dernier trimestre 2021. Et au cas où ce montant ne serait pas disponible, le pays pourrait être dans l’incapacité de rembourser son service de la dette extérieure. Selon les données de la Banque mondiale, la dette extérieure de la Tunisie ressortait à 41 milliards de dollars à fin 2020.

En effet, le pays traîne actuellement une dette publique dépassant le seuil de 100% de son PIB, contre 35% en 2010. Et, libellée en devises fortes (dollars, euros…), elle représente 60% de la dette publique du pays.

Ainsi, le coup du service de la dette absorbe à lui seul 28% du budget de l’Etat. Et en tenant compte de la masse salariale de la fonction publique, ces deux rubriques absorbent environ 90% du budget. Ce qui est intenable.

Selon les données de la Banque centrale de Tunisie, le service de la dette extérieure cumulée, depuis le début de l’année à fin octobre, s’est établi à 8,96 milliards de dinars, soit 3,16 milliards de dollars. Un niveau élevé rapporté aux réserves en devises du pays qui s’élèvent à hauteur de 7 milliards de dollars.

Pour le fonctionnement de l’Etat, le gouvernement tunisien est donc obligé de recourir à l’endettement intérieur et extérieur. Si les fonds levés à l’intérieur permettent de faire face à certaines dépenses du budget, le remboursement du service de la dette nécessite des devises, donc des emprunts extérieurs sous diverses formes: multilatérales, bilatérales et marché international des capitaux.

Seulement, malgré tous les efforts entrepris par les autorités tunisiennes au cours de ces derniers mois à travers des réunions avec les bailleurs de fonds, notamment le Fonds monétaire international (FMI), mais aussi lors des visites du président Kaïs Saied et de ses Premiers ministres à l’étranger (France, Emirats arabes unis, Qatar et Arabie saoudite), la Tunisie a du mal à bénéficier des concours financiers des institutions multilatérales et/ou des emprunts bilatéraux.

Or, la situation est critique, mais la Tunisie n’arrive pas à obtenir de nouveaux prêts. Bank of America explique qu’elle ne peut obtenir de rééchelonnement de sa dette extérieure colossale qu’auprès du Club de Paris, un groupe informel composé de responsables financiers de 22 grandes économies du monde, qui offre des services financiers dont le rééchelonnement des dettes des pays surendettés dans le but de leur éviter la faillite. Or, les créanciers de ce Club ne pèse que 16,7% du volume de sa dette extérieure, soit 10 milliards de dinars.

Le gros de la dette tunisienne émane des institutions financières internationales, dont le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD)… Les dettes multilatérales représentant 54% de la dette extérieure de la Tunisie. Ensuite, suivent les dettes contractées au niveau du marché des capitaux qui représentent 25% de la dette extérieures du pays.

Or, pour le FMI et la Banque mondiale, les discussions semblent être bloquées du fait que la Tunisie a du mal à enclencher les réformes exigées par ces institutions. A l'instar de la baisse des effectifs pléthoriques de la fonction publique qui avoisinent actuellement plus de 700.00 fonctionnaires pour un pays qui compte environ 12 millions d’habitants. Selon l’économiste Ezzeddine Saidane, la masse salariale de la fonction publique représente actuellement plus de 61% du budget de l’Etat tunisien.

A titre de comparaison, au Maroc, la masse salariale devrait représenter 33% du budget de l’Etat en 2021, soit presque la moitié du ratio tunisien. Il faut noter que la fonction publique marocaine employait 580.000 fonctionnaires civils en 2020, alors que la population du Royaume est trois fois plus importante que celle de la Tunisie (37 millions d’habitants contre 12 millions pour la Tunisie).

Outre cette réforme, les institutions internationales exigent aussi l’élimination ou la réduction de nombreuses subventions, la privatisation de certaines entreprises publiques devenues des gouffres financiers pour le budget de l’Etat…

Seulement, les derniers gouvernements tunisiens qui se sont succédé au cours de ces dernières années n’ont pas réussi à enclencher les processus de réformes exigées notamment par le FMI. Ainsi, cette dernière institution jugeant que les gouvernements tunisiens n’ont pas respecté leurs engagements en matière de réformes traîne les pays avant de débloquer un nouveau prêt au pays.

En clair, pour obtenir de nouveaux engagements du FMI, le gouvernement tunisien doit donner des gages d’engagement des réformes structurelles souhaitées par les institutions financières. Or, le contexte actuel n’est pas vraiment favorable pour le président Kaïs Saied pour entamer des réformes impopulaires qui se traduiront par des coupes au niveau de la fonction publique et des établissements publics ayant des effectifs pléthoriques, une nouvelle hausse des prix de certains biens qui bénéficient de subventions étatiques alors que l’inflation est déjà élevée dépassant les 6,4% actuellement…

Il faut que ces négociations aboutissent afin que la Tunisie puisse obtenir le prêt de 4 milliards de dollars qu’elle souhaite du FMI.

La situation financière tunisienne est d’autant plus critique que le pays a du mal à obtenir des prêts bilatéraux auprès de certains pays du Golfe, notamment du Qatar, des Emirats arabes unis et d'Arabie saoudite. En atteste, les dernières visites de Premiers ministres tunisiens dans ces pays qui n’ont pas eu les succès escomptés.

La situation financière du pays est critique et les marges de manœuvre du gouvernement tunisien sont très faibles. Si le recours au marché intérieur via l’emprunt national peut aider à faire face au financement du budget de l’Etat, il n’en demeure pas moins que l’Etat doit trouver des devises pour faire face au service de la dette, en devises. Et à ce titre, la situation est d’autant plus délicate que les réserves en devises du pays sont une fois encore sur une pente baissière. A la date du 7 décembre 2021, les avoirs nets en devises du pays se sont établis à 20,24 milliards de dinars, offrant 118 jours d’importation en biens et services, contre 154 jours en décembre 2020.

Il faut dire que la Tunisie fait face à une conjoncture difficile à cause de la pandémie du Covid-19 qui a mis à genou le secteur du tourisme, l’un des principaux moteurs économiques du pays et l’une des principales sources d’entrée de devises. De même, les investissements directs étrangers (IDE) se réduisent à cause de la crise économique mondiale résultant des impacts de la pandémie, mais aussi des effets de la crise économique structurelle que traverse la Tunisie depuis une décennie et des effets de la crise politique que connaît le pays ces dernières qui ont causé une instabilité chronique avec des changements de gouvernement fréquents.

De même, les exportations tunisiennes, globalement de faibles valeurs -produits agricoles, phosphates, câbles de voitures…- n’offrent pas d’importantes entrées de devises. La seule entrée de devises en hausse actuellement est celle des transferts de la diaspora tunisienne, en hausse.

Partant, les recours aux emprunts extérieurs servent surtout à faire face aux services de la dette extérieure. Autrement dit, la Tunisie emprunte pour rembourser d’anciens prêts. Elle est ainsi entrée dans un cercle vicieux de la dette.

Par Karim Zeidane
Le 09/12/2021 à 15h22, mis à jour le 09/12/2021 à 15h24