Les 5 facteurs qui expliquent l'origine et la persistance du terrorisme au Sahel

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Le 21/08/2017 à 12h56, mis à jour le 21/08/2017 à 17h15

Revue de presseDégâts directs et collatéraux des plans d'ajustement structurels, narcotrafic au cœur du pouvoir et action des services secrets algériens figurent parmi les principales causes du terrorisme au Sahel. Les explications, preuves à l'appui, de l'ancien diplomate français Laurent Bigot.

Kiosque le360 Afrique: Les dégâts directs et collatéraux des plans d'ajustements structurels concoctés par les institutions financières internationales, la prévarication érigée en mode de gouvernance, des élections grossièrement truquées, l’irruption du narcotrafic au cœur du pouvoir et l’action des services secrets algériens, seraient les principales causes du développement fulgurant du terrorisme au Sahel.

Cette thèse est développée par Laurent Bigot, expert indépendant, ancien directeur adjoint chargé des Affaires africaines au Quai d’Orsay, débarqué en 2012, pour avoir jeté un gros pavé dans la très boueuse mare de la "France Afrique" en prédisant la chute de Blaise Compaoré, à travers une opinion exprimée "à titre personnel".

Il expose son point de vue dans une tribune publiée dans les colonnes du quotidien français "Le Monde" au cours des derniers jours.

L’expert indépendant, souvent invité dans les grands forums sous-régionaux traitant de la sécurité au Sahel, livre ainsi un avis sans détour, dénué des subtilités du langage diplomatique des hauts fonctionnaires du département des Affaires étrangères.

Il met le doigt là où ça fait mal, dans une espèce de sortie au lance-flamme, suivant un timing sécuritaire sous-régional marqué par de récentes attaques terroristes au Burkina Faso et au Mali.

"La montée en puissance des groupes armés dans le Sahel est la conséquence d’une grave crise de gouvernance qui touche toute l’Afrique de l’Ouest. Celle-ci se caractérise par une disparition de l’Etat au service des populations, car l’Etat moderne est privatisé par les élites politiques à leur profit -Jean-François Bayart parle de patrimonialisation- phénomène qui s’est accéléré ces dernières années pour atteindre un niveau tel que, désormais dans les pays sahéliens, les populations sont livrées à elles-mêmes, sans aucune entité (Etat ou autre) s'occupant de la prise en charge de l’intérêt général. C’est particulièrement le cas au Mali, au Niger et en Mauritanie".

Laurent Bigot explique que ”ces Etats ont tous en commun un système politique miné, accaparé par une élite prédatrice dont les méthodes ont non seulement porté l’estocade à ce qui restait de l’Etat et de son administration, mais en plus, ont fait entrer au cœur même du pouvoir le crime organisé. La conquête du pouvoir et sa conservation sont perçues comme un accès à une manne intarissable”.

A travers un coup de rétroviseur sur l’histoire de l’évolution économique de ces pays, Bigot revient sur la situation "d’Etats sahéliens fragilisés, dans les années 80, par les plans d’ajustement structurels imposés par le Fonds monétaire international et la Banque Mondiale (BM), au nom du libéralisme doctrinaire ambiant". Le document présente des budgets nationaux exécutés en dépit du bon sens, avec l’aval des institutions financières mondiales, qui escamotent l’importance des secteurs sociaux tels que la santé et l’éducation.

Concernant l’irruption du narcotrafic au cœur du pouvoir, sa tribune donne aussi des exemples. C'est "le cas de l’un des principaux soutiens financiers du parti du président du Niger Issoufou, qui n'était autre que Chérif Ould Abidine (décédé en 2016) et dont le surnom était Chérif cocaïne. Un conseiller du président Amadou Toumani Touré (2002/2012), qui était un trafiquant notoire".

Le document revient aussi sur le cas de cet avion gros porteur débarquant une cargaison de drogue dure en plein désert malien, sous la supervision d’un haut gradé de l’armée malienne en 2009.

Au chapitre "des élections grossièrement truquées" en Afrique, la tribune de l’ancien diplomate cite "des cas d’école, avec l’élection d'Alpha Condé en Guinée en 2010 et la réélection de Faure Gnassigbé au Togo en 2015".

Autant de pratiques qui auraient progressivement gommé la frontière entre l’Etat et le crime organisée, livrant les populations à elles-mêmes.

Mauvaise gesiont, corruption, pauvreté, ignorance… C’est dans ce contexte qu’arrivent les groupes terroristes qui recourent à des pratiques mafieuses.

Bigot rappelle ”le cas des autorités des pays sahéliens qui négocient des pactes de non-agression avec ces groupes armés. C’est le cas de la Mauritanie, comme l’attestent des documents saisis par les Américains lors du raid mené contre Ousama Ben Laden en 2011 au Pakistan”.

Cette thèse vigoureusement contestée par les autorités de Nouakchott, qui justifient l’accalmie sur le front des attentats dont bénéficie le pays depuis décembre 2011, par "des mesures de réorganisation et de mise à niveau des forces armées et de sécurité" et une approche pédagogique se traduisant par un dialogue avec des terroristes potentiels permettant de les récupérer.

Dans cette tribune, l’illustration de l’implication et de l’infiltration des services algériens au sein des groupuscules terroristes au Sahel est fournie par le mouvement "Ansar Dine" d’Iyad Ag Ghali. Là, Bigot pose une série d’interrogations.

"Où se replient Iyad Ag Ghali et ses combattants? Comment se fait-il que Mokhtar Belmoctar sillonne en toute impunité la zone sahélienne depuis 20 ans? Des questions qui trouvent des réponses dans la complicité d’une partie des services algériens". 

Citant "Ahmad Ag Bibi, député touareg, à l’époque bras droit d'Iyad Ag Ghali, resté depuis lors proche du chef d’Ansar Dine, l’expert Bigot explique "qu’en 2006/2007, lorsque AQMI s’est installé dans l’Adrar des Ifoghas (nord Mali), Iyad Ag Ghali et ses hommes l’ont combattu. Le soutien logistique dont ils bénéficiaient depuis des années s’est immédiatement interrompu. Le chef terroriste en a déduit que s’attaquer à AQMI, c’était s’en prendre à une partie des services algériens. Il a composé".

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 21/08/2017 à 12h56, mis à jour le 21/08/2017 à 17h15