Sénégal-Tabaski: quand le prix du mouton peut atteindre 3.000 euros!

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Le 31/08/2016 à 11h00, mis à jour le 31/08/2016 à 11h33

Au Sénégal, le fossé se creuse de plus en plus entre riches et pauvres. Même en matière de religion. Ainsi, après le quartier des riches (Almadies), il y a une nouvelle race de mouton (le «ladoum») pour la Tabaski dédié aux... nantis. Les prix peuvent dépasser 2 millions de FCFA (3.000 euros).

L’Aïd El-Kébir ou Tabaski est la plus grande fête musulmane de l’année. Mais depuis quelques années, ce qui devrait être un jour de réjouissance est devenu synonyme d’angoisse pour bon nombre de pères de familles sénégalais. Un jour où la viande du mouton a un goût amer pour certains pères de familles. «La Tabaski arrive dans quelques jours et je dois payer le loyer, acheter un mouton et des habits neufs pour mon épouse et mes enfants, c’est vraiment dur», se lamente ce père de famille qui ne sait visiblement plus à quel saint se vouer.

En effet, depuis quelques années, les dépenses que les ménages sénégalais consacrent à la Tabaski ont, si l’on peut dire, explosé. «Pour chaque Tabaski, je dépense 700.000 FCFA (plus de 1.000 euros)», explique Seyni, un employé du privé dont le salaire ne dépasse pas 300.000 FCFA. Ce qui veut dire que la Tabaski lui coûte plus de deux mois de salaire.

Quand on lui demande comment il fait pour s'en sortir, il répond: «Je me débrouille en faisant des affaires à côté, je ne compte pas sur mon salaire pour cela», explique-t-il, franc. Comme beaucoup de salariés sénégalais, Seyni est soumis à «l’infernale» pression sociale, la fameuse «DS» (demande sociale). «Je me sens obligé. Je dois acheter un bon mouton pour madame, un pour mon père et un autre pour mon tuteur, un parent qui s’est occupé de moi pendant mes études et envers qui je suis redevable», justifie-t-il.

Un besoin de 750.000 moutons

Même pour le gouvernement, cette période n’est pas de tout repos. Chaque année, «l’Opération Tabaski», visant à approvisionner le marché sénégalais de moutons de Tabaski, donne des sueurs froides au ministre de l’Elevage.

Surnommée «ministre de la Tabaski», Aminata Mbengue Ndiaye connaît, en effet, une forte exposition médiatique durant cette période de l’année. Et à deux semaines de la Tabaski, elle ne cache pas son inquiétude. En visite, ce 28 août, au foirail de Kahone, l’un des plus grands points de chutes des éleveurs mauritaniens et maliens avant de remonter à Dakar, elle note que le «déficit en moutons est lourd par rapport à la même période de l’année dernière».

En effet, lors de la visite du ministre, Kahone avait enregistré l’arrivée de seulement 4 camions des pays limitrophes pour un effectif de 1.260 têtes contre 59 camions pour 8.100 têtes l’année dernière (2015) à la même période de la veille de la célébration de la Tabaski, soit un déficit de 55 camions.

Pourtant, à travers une circulaire du Premier ministre, Mahammad Boun Abdallah Dionne, le gouvernement sénégalais avait pris «une batterie de mesures» de nature à sécuriser les points de vente, les zones d’attente et les couloirs de convoyage des moutons afin de permettre le déroulement d’une Tabaski 2016 «apaisée». La ministre de l’Elevage s’était même rendue en Mauritanie et au Mali, les deux pays qui fournissent l’essentiel des 750.000 moutons abattus au Sénégal durant chaque Tabaski, afin de faciliter le convoi des bêtes.

Mais ces mesures visant à approvisionner correctement le marché ne semblent avoir aucun effet sur le prix du mouton qui ne cesse de renchérir d’année en année. Il y a quelques années, il était possible d’avoir un mouton apte au sacrifice à 30.000 FCFA. Aujourd’hui, il faut débourser au minimum 65.000 FCFA…

Quand c’est l’épouse qui choisit le mouton

Pour les polygames, c’est encore pire. Abdourrahmane est chauffeur dans une société de la place. Il doit acheter un mouton pour chacune de ses trois épouses. «Mais la troisième me fait chaque année des histoires, prétendant que le mouton que j’ai acheté pour elle est très petit», se désole le bonhomme. A l’image d’Abdourrahmane, nombre de Sénégalais se font annuellement rudoyer par leurs épouses en ces termes : «Une grande dame comme moi, tu m’amènes ce chat !».

Pour éviter ce genre de problème, certains maris s’accompagnent tout bonnement de madame au foirail. Elle choisit le mouton qui lui plaît avant que l’homme ne marchande. Le problème, c’est que quand les vendeurs voient un homme accompagné de son épouse, ils restent inflexibles sur le prix, conscients que l’homme va finir par céder pour satisfaire les caprices de son épouse.

«Ladoum», le mouton des nantis

En effet, au Sénégal, la taille du mouton de Tabaski est généralement proportionnelle au rang social de l’individu. Il y a même une nouvelle race de mouton appelée «ladoum», issue d’un croisement entre plusieurs races, acheté à coup de millions par les classes aisées pendant la Tabaski.

Essentiellement pour le prestige. «Certains achètent cette race de mouton juste pour faire plaisir à leur famille à l’occasion de la Tabaski ou le baptême d’un nouveau-né. Ils sont nantis et n’ont pas de soucis d’argent. Certains sont prêts à casquer entre 1 et 2 millions de FCFA sur un mouton», explique Abou Kane, le président de l’Alliance pour le développement et l’amélioration des races de mouton (ADAM), au magazine «Soleil Business» (n°11, du 29 août au 11 septembre 2016). Il explique que le président Macky Sall himself a été un de ses clients, à l’occasion de la Tabaski 2012, juste après son avènement au pouvoir. L’artiste Gallo Thiélo, également très connu dans le business des «ladoum», cite parmi sa clientèle des personnalités de l’Etat, des chefs d’entreprises et autres célébrités comme Youssou Ndour.

Loin de cette «folie des grandeurs», Mansour, un retraité-actif du ministère de l’Habitat, reste sur une position de principe : «Je ne dépense jamais plus de 80.000 FCFA (122 euros) pour un mouton de Tabaski. Même si j’avais les moyens, je préfère aider un pauvre à avoir un mouton que d’acheter un seul mouton à 200.000 FCFA à plus forte raison 1 ou 2 millions», dit-il, sur un ton ferme. Aliou, son collègue, lui aussi, refuse de se laisser entraîner, expliquant que la religion, c’est d’abord et avant tout la sobriété et non l’ostentation.

Korité-Tabaski-rentrée scolaire, le cycle infernal

Cela d'autant plus que depuis deux ou trois ans, du fait des hasards du calendrier, il y a une succession infernale d’événements budgétivores pour les ménages sénégalais. En effet, les fêtes de l’Aïd El-Fitr (Korité), de l’Aïd El-Kébir (Tabaski) et la rentrée scolaire se tiennent pratiquement sur un mouchoir de trois mois qui ne laisse guère la possibilité aux pères de familles de respirer financièrement.

Pour en revenir à la Tabaski, le mouton n’est pas la seule dépense. Il faut aussi acheter des habits neufs à toute la famille, ainsi qu’à certains proches parents. Et ce n’est pas avec n’importe quel tissu. Après le «Jasner» l’année dernière (12.000 FCFA le mètre), cette année on parle de «Super vainqueur» (10.000 FCFA le mètre). Et il faut entre 4 et 5 mètres pour confectionner un joli grand boubou traditionnel. Comme le veulent les Sénégalais. Faites le calcul pour toute la famille !

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 31/08/2016 à 11h00, mis à jour le 31/08/2016 à 11h33