Cette femme de 43 ans a atterri à Blikkiesdorp - «Boîte de conserve-ville» en afrikaans - après avoir été expulsée de son appartement de Woodstock, un quartier du Cap devenu tendance, par le nouveau propriétaire.
Initialement destiné au «logement d’urgence», le site situé à 25 km du centre-ville a fait les gros titres en 2010, quand la municipalité a été accusée d’y avoir déplacé des milliers de sans-abris à l’approche de la Coupe du monde de football organisée par l’Afrique du Sud.
«La municipalité nous a dit au départ que ce serait pour trois à six mois», explique à l’AFP Mme Felkers, dans sa cahute de deux pièces, assemblage de tôles de zinc couvertes de rouille. Mais un projet immobilier non loin n’a pas été réalisé. «Seize ans plus tard, nous attendons toujours!»
«En été, on étouffe à l’intérieur. En hiver, ça ressemble à un congélateur», décrit-elle.
Autour, aucun magasin ou service, nulle part où aller ou travailler, alors qu’«à Woodstock nous avions accès à tout: on pouvait se rendre à pied en ville, au parc, au supermarché ou chez le boucher de l’autre côté de la rue», se souvient la quadragénaire.
Son nom figure parmi 340.000 autres dans le registre des demandeurs de logements du Cap, métropole d’environ 5 millions d’habitants.
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Et sa famille est l’une des 2,3 millions de la liste d’attente nationale pour un logement, la plupart noires ou métisses, déplacées de force sous le régime ségrégationniste de l’apartheid qui a pris fin il y a 30 ans en 1994.
Ségrégation spatiale
L’Afrique du Sud a connu «plus de 300 ans de planification urbaine explicitement raciste, qui décidait où les différents groupes devaient vivre et cet héritage reste très présent aujourd’hui», déplore Nick Budlender, membre du groupe de défense des mal-logés Ndifuna Ukwazi.
La ségrégation spatiale laissée par l’apartheid reste prégnante au Cap.
En bord de mer et au centre-ville vivent principalement des Blancs et des touristes.
Noirs ou métis peuplent majoritairement les faubourgs et leurs townships, quartiers sous-équipés, surpeuplés et défavorisés. Leurs habitants sont «plus loin des emplois, des écoles et de ce qui est essentiel à une vie décente et une chance d’ascension sociale», souligne M. Budlender.
Depuis la mort de son mari, tué par une balle perdue à la porte de leur cahute en 2015, Ursula Felkers dépend de l’aide sociale pour élever ses deux enfants. Tout part dans le trajet de son fils vers l’école, environ 1.000 rands (50 euros) par mois.
«Cela me coûte 50 rands, juste pour un aller-retour au ville, déposer mon CV», raconte-t-elle. «Si je vivais encore en ville, j’aurais déjà du travail.»
«Paperasserie vertigineuse»
La municipalité du Cap a approuvé ces dernières années approuvé la construction de 10.000 logements sur un terrain bien situé, rappelle Carl Phophaim, maire adjoint, à l’AFP, mais le financement reste un énorme problème.
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La ville a «libéré plus de parcelles ces deux dernières années qu’au cours des dix années précédentes», mais «la paperasserie est vertigineuse», assurait le mois dernier le maire Geordin Hill-Lewis.
Dans le même temps, le nombre de logements affichés sur Airbnb a explosé. La plateforme de locations touristiques en ligne propose environ 23.500 logements au Cap, soit plus que des villes aussi touristiques qu’Amsterdam ou Barcelone, selon InsideAirbnb, site qui rassemble des données sur l’impact d’Airbnb sur les zones résidentielles.
En retirant «totalement du marché immobilier des dizaines de milliers de logements», Airbnb contribue à «l’explosion» des loyers, accuse M. Budlender.
Une critique balayée par la plateforme américaine qui assure à l’AFP que près de la moitié des hébergeurs disent que ce complément de revenu leur permet de se loger.
Son exil fait ressentir à Mme Felkers le poids de l’histoire.
Ses grands parents furent contraints de quitter le District Six, quartier cosmopolite et multiculturel du coeur du Cap, lors d’une vaste opération de déplacement forcé de ses habitants décidé à la fin des années 1960 par le gouvernement de l’apartheid pour en faire un quartier réservé aux Blancs.