En février dernier, le Soudan a dévalué de manière brutale la valeur de sa monnaie de 85%. Très endetté et traversant une crise économique aiguë, le pays a été obligé de suivre les recommandations du Fonds monétaire international (FMI) qui jugeait sa monnaie, la livre soudanaise, surévaluée. Pour faire avaler la pilule de cette thérapie de choc, la Banque centrale soudanaise a fait passer l’injonction de l’institution de Breton Woods, le dimanche 21 février 2021, en annonçant l’adoption du taux de change flottant régulé de la livre soudanaise. Au lieu de parler de dévaluation, l’institution a souligné que "Le gouvernement de transition a décidé d’adopter un ensemble de politiques visant à réformer et harmoniser le régime de change en appliquant un taux de change flottant dirigé". Mais même si le terme tant redouté de "dévaluation" n'a pas été utilisé, cette décision, sensée contribuer à stabiliser l’économie du pays, a tout de même fait perdre 85% de sa valeur à la monnaie soudanaise. Ainsi, le taux de change d'un dollar est passé de 55 livres à 375, en quelques heures.
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Le Soudan n’avait pas le choix. Etouffé par une dette dépassant les 60 milliards de dollars, le pays était obligé d’accepter l’aide conditionnée du FMI, des Etats-Unis et du Royaume-Uni.
Bien avant elle, les deux premières puissances économiques actuelles du continent avaient subi le diktat du FMI.
En 2016, le Nigéria, première puissance économique africaine, a été contrainte de dévaluer fortement sa monnaie. Le 21 juin 2016, le naira nigérian a vu sa valeur chuter de 33% en une séance, passant de 198 nairas pour 1 dollar à 262,5, après la décision de la Banque centrale de "laisser flotter" la naira, pour ne pas dire "dévaluer la naira", là aussi.
Avec cette décision, le gouvernement nigérian, qui faisait face à la chute du cours du pétrole qui a asséché les recettes et les réserves en devises du pays, répondait aux demandes des investisseurs étrangers et aux institutions financières internationales.
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Toutefois, en l'absence de réformes structurelles et avec le seul pétrole comme exportation, cette dévaluation n’a pas eu les effets escomptés. L’inflation demeure toujours forte, avec un taux à deux chiffres depuis cette date. Elle s’est s’établie à 16,47% en janvier dernier.
Quelques mois après le Nigéria, toujours en 2016, c'est l'Egypte, au bord du gouffre, qui avait recouru au FMI pour l'octroi d'un prêt de 12 milliards de dollars sur 3 ans, en contrepartie d’une série de réformes. La première a été la dévaluation immédiate de la livre égyptienne le jeudi 3 octobre 2016 faisant passer le taux officiel de 8,88 livres égyptiennes pour 1 dollar à 14, soit une dévaluation de 41%.
Le gouvernement égyptien avait aussi réduit les subventions de nombreux produits et augmenter les prix de l’électricité, suscitant des manifestations des populations contre la cherté de la vie. La suppression de la subvention sur le sucre a été à l’origine d’une augmentation de 40% du prix du kilogramme. Les différentes hausses ont contribué à réduire le pouvoir d’achat des citoyens, entraînant des manifestations.
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Aujourd’hui encore, les conséquences de la pandémie du Covid-19 sur les économies du continent ont poussé de nombreux pays à solliciter les concours de l’institution internationale et ses remèdes traditionnels.
Aux demandes de dévaluation, certains pays ont préféré "dévaluer en douceur" en laissant leur monnaie se déprécier face aux devises fortes. C’est le cas de la Tunisie, de l’Algérie et de tant d’autres pays africains.
Ainsi, les autorités algériennes, après avoir refusé la recommandation du FMI de dévaluer la monnaie jugée surévaluée, ont laissé filer le dinar au cours de ces dernières années. Ainsi, rien qu’au cours de l’année 2020, le dinar algérien s’est déprécié de 20,86% vis-à-vis de l’euro et 11% par rapport au dollar. Une dépréciation du dinar qui continue depuis le début de l’année.
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Seulement, le remède du FMI est loin d’être une panacée. Rares sont les pays africains qui arrivent réellement à sortir de la crise. Le Nigéria, depuis la dépréciation du naira en 2016, est plongé dans une crise économique du fait de sa dépendance aux hydrocarbures et l’absence de véritables réformes, notamment en matière de gouvernance. Idem pour l’Angola qui avait laissé flotter sa monnaie, le kwanza, qui s’était déprécié de 24% en 2017.
L’Egypte est presque le seul pays qui a réussi à s’en sortir relativement. Un peu plus de trois ans après la crise, le pays a commencé à afficher des indicateurs globalement satisfaisants, avec un taux de croissance autour de 5% par an, avant le Covid-19 (c’est le seul pays de la région MENA qui a échappé à la récession en 2020), une baisse significative de l’inflation, des exportations en hausse, des recettes touristiques en forte appréciation atteignant les 15 milliards de dollars en 2019 et des investissements directs étrangers en progression grâce à une meilleure attractivité de la destination Egypte.
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Par ailleurs, les réserves en devises qui avaient chuté à 15,54 milliards de dollars à fin juillet 2016, ont remonté pour dépasser la barre des 45 milliards de dollars en 2019, avant de retomber autour des 40 milliards de dollars actuellement, à cause des effets de la pandémie du Covid-19.
Inflation inévitable et baisse de pouvoir d'achat
Ces dévaluations n’ont pas permis de réduire les importations, par conséquent devenues plus onéreuses, pour un même volume de produits importés.
Pire, le revers de la médaille de ces dévaluations et dépréciations voulues des monnaies africaines est l’inflation. En effet, les pays africains ayant majoritairement des balances commerciales déficitaires, notamment les balances alimentaires, les dévaluations se traduisent mécaniquement par des hausses exceptionnelles des prix des produits importés.
Les conséquences sont catastrophiques sur les ménages des pays africains confrontés aux dévaluations et aux dépréciations de leurs monnaies qui voient leur maigre pouvoir d’achat s’éroder davantage face au renchérissement des prix de nombreux produits. Dans tous les cas, les conséquences de ces dévaluations et dépréciations volontaires des monnaies ont des conséquences graves sur les pouvoirs d’achat des citoyens des pays africains.
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Cela est d’autant plus inquiétant que de nombreux pays africains ont des balances alimentaires déficitaires et importent de nombreux produits de premières nécessité: farine, sucre, huile, lait, riz, etc.
A titre d’exemple, pour un pays comme l’Algérie qui a préféré la "dévaluation déguisée" du dinar, les conséquences sont catastrophiques sur les ménages. La dépréciation du dinar a impacté directement les importations de produits alimentaires et les intrants de matières premières, se répercutant directement sur les prix de certains produits de grande consommation.
Les importations alimentaires pèsent très lourd sur la balance commerciale du pays, représentant 19% en moyenne des importations totales sur la période 2014-2018 avec une facture moyenne de 8 milliards de dollars par an.
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La situation inflationniste dans de nombreux pays devrait se corser davantage avec les récentes flambées des cours de certains produits. En effets, les cours internationaux des produits alimentaires ont progressé de 16,7% à 116 points en février 2021, en rythme annuel, après la hausse de 10,5% le mois précédent. Ces hausses concernent les huiles végétales (51%), les céréales (26,5%), les produits laitiers (9,82%) et le sucre (9,63%).
Du coup, les prix des produits alimentaires flambent un peu partout en Afrique. Les pays dont les monnaies se sont dépréciées ou ont été dévaluées sont les plus affectés par la situation. L’inflation importée y étant beaucoup plus importante que dans les pays qui ont des monnaies relativement stables au niveau du continent, comme le Maroc ou les pays des zones franc CFA dont les monnaies sont adossées à l’euro avec une parité fixe et qui refusent toute dévaluation de leur monnaie, etc.
Dévaluation, dépréciation et flambée des cours des produits agricoles et alimentaires constituent un cocktail explosif pour de nombreux pays du continent qui font déjà face aux hausses des prix.
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Et face à la flambée inflationniste qui touche de nombreux pays dont particulièrement ceux qui ont dévalué ou laissé se déprécier leur monnaie, le Fonds monétaire international (FMI) est à nouveau la cible des critiques. Il lui est, en effet, reproché d’être un instrument de soumission des pays africains, de freiner leur développement et de les aliéner politiquement et économiquement à ceux de l’Occident.
Le FMI, seul responsable?
Toutefois, après plus de 60 ans d’indépendance, est-il raisonnable de continuer à tout mettre sur le dos du FMI. La faute revient en très grande partie aux dirigeants africains qui n’ont pas su mettre en place des politiques économiques à même de les prémunir contre des retournements de conjoncture. C’est particulièrement le cas de ceux qui dirigent les pays pétroliers et qui n’ont pas engagé leur pays sur la voie de la diversification économique, se contentant uniquement de la rente pétrolière, comme c’est le cas pour de nombreux pays dont l’Algérie, l’Angola, le Congo, la Guinée Equatoriale, etc.
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En conséquence, il est urgent que les pays du continent adoptent de nouveaux modèles économiques de développement pour éviter de recourir aux sauvetages conditionnés du FMI. Malheureusement, à chaque fois que les prix du baril de pétrole remontent, les politiques de diversification et d’austérité mises en place en période de crise par les dirigeants sont oubliées, laissant la place aux vieux réflexes de mauvaise gouvernance.