Égypte: comment l’économie du pays est devenue la plus résiliente de la zone MENA

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Le 26/07/2020 à 13h07, mis à jour le 26/07/2020 à 13h26

Comment l’Egypte est passée d’une économie en pleine crise, dans le sillage du «Printemps arabe», à l’économie la plus dynamique de la zone MENA? Découverte de gaz, diversification économique et réformes sous l’égide du FMI, sont les ingrédients de cette résilience.

Selon les projections de la Banque Mondiale, du Fonds monétaires international (FMI) et de la Banque africaine de développement (BAD), l’Egypte sera la seule économie de la région Moyen Orient & Afrique du Nord à même d’enregistrer une croissance positive pour l’année 2020, et ce, en dépit des conséquences catastrophiques de la pandémie du coronavirus sur l’économie égyptienne, dont l’un des piliers, le tourisme, a été très durement impacté.

Selon les données du Fonds monétaire international (FMI) datant du mois d’avril dernier, l’Egypte devrait réaliser une croissance de 2% en 2020, contre -3,3% pour la région MENA.

En début d’année, le FMI tablait sur une évolution du PIB égyptien de 5,8%, c’est dire que cette projection a été divisée par 3. 

Depuis, la situation s’est dégradée davantage, et les projections ont été revues à la baisse.

Ainsi, pour la BAD, l’Egypte devrait enregistrer un PIB en croissance de 0,8% en 2020, dans le cadre de son scénario pessimiste. Et ce sera aussi le seul de la région à ne pas connaître de récession, malgré la chute du tourisme, et la baisse des investissements et des échanges extérieurs. Ce qui est positif, quand on sait que les autres pays d’Afrique du Nord devront tous être en récession avec des PIB en évolution de plus de -4%.

L’économie égyptienne est, de plus, la seule qui devrait échapper à la récession au niveau de la région Moyen-Orient & Afrique du Nord (MENA), d’après les prévisions de ces institutions.

Comment l’économie égyptienne est-elle actuellement devenue la plus résiliente de cette région?

D’emblée, et contrairement à de nombreuses économies de la région, l’économie égyptienne, à l’instar de celle du Maroc, se caractérise par sa relative diversification.

Reposant sur l’agriculture, qui contribue à hauteur de 11% du PIB et emploie 25% de la population, ce secteur représente environ 20% des exportations totales et des recettes en devises du pays. Le climat tempéré et l’abondance en eau du fleuve du Nil permettent plusieurs récoltes annuelles. Les principales cultures agricoles du pays sont les céréales, le coton, la canne à sucre, les betteraves, etc.

Sur un plan industriel, le pays compte de nombreuses unités dans la chimie, l'industrie mécanique, la fabrication d’acier, le textile, l’industrie du BTP (ciment, carrelage,...), l'industrie pharmaceutique, etc. Ces industries bénéficient de prix du gaz et de l’électricité attractifs pour leur compétitivité.

Il y a aussi les hydrocarbures, notamment le gaz, avec des découvertes importantes en Méditerranée qui ont rendu le pays autosuffisant en gaz naturel.

Toutefois, c’est le secteur des services qui continue à tirer la croissance de l’économie égyptienne, en pesant plus de la moitié du PIB et des emplois du pays. Celui-ci est dominé par les télécommunications et le tourisme.

Nonobstant, dans le sillage du printemps arabe qui a balayé l’ancien régime de Hosni Moubarak, une crise économique aiguë a touché le pays durant la première moitié de la décennie 2010. Celle-ci, aggravée par une crise sécuritaire, marquée par des attentats terroristes dont la plus spectaculaire et meurtrière a été celle ayant entraîné l’explosion d’un avion russe au-dessus du Sinaï en 2015, ont cassé les ressorts de la dynamique de croissance du pays.

Du coup, la croissance est restée relativement faible, le taux de chômage a grimpé et les tensions sociales sont devenues perceptibles. La livre égyptienne s’est dépréciée face au dollar sur lequel elle est arrimée. En juin 2016, sur le marché officiel, un dollar s’échangeait 8,88 livres égyptiennes, et il fallait 13 livres pour un dollar au marché noir. En conséquence, les détenteurs de devises les échangeaient au marché noir, nettement plus attractif.

Face à la crise économique et la flambée de l’inflation, l’Egypte s’est vue contrainte de faire appel au Fonds monétaire international (FMI) et à l’une de ses thérapies de choc.

L’institution a poussé l’Egypte à abandonner le contrôle du taux de change et à s’acheminer vers un système de change flottant. Ainsi, le 3 novembre 2016, la valeur de la livre a chuté de plus de 40%, s’échangeant à 14 livres contre un dollar sur le marché officiel. Cette décision a, par la suite, fait perdre à la livre égyptienne jusqu’à plus de 53% de sa valeur vis-à-vis du billet vert américain.

En contrepartie de cette dévaluation de la livre, mais aussi d’ engagements pour la réduction du déficit budgétaire grâce à la baisse des subventions et à la révision à la hausse des prix de certains produits dont les prix à la pompe, de la libéralisation de l’économie et de l’adoption d’une série de réformes, notamment fiscales et règlementaires, le FMI s’est engagé à reverser 12 milliards de dollars sur trois ans à l’Egypte, qui avait grandement besoin de devises pour faire face à ses importations de biens et services.

La baisse des subventions (sucre, prix à la pompe, électricité etc.), l’augmentation de la TVA et la hausse des droits de douane ont entraîné une réduction progressive du déficit public. A titre d’illustration, en 2016-2017, les subventions publiques étaient de 7,31 milliards de dollars. Elles ont été réduites de 2,16 milliards de dollars en 2018-2019, notamment grâce à la baisse des subventions sur les prix à la pompe et l’électricité.

Outre les mesures édictées par le FMI, l’économie égyptienne est également stimulée par la politique des grands travaux dont la construction de la nouvelle capitale administrative, la réalisation de ponts sur le Nil, la construction d’une nouvelle voie de navigation sur la mer Rouge, la construction de grandes zones industrielles, etc., autant de projets structurants qui dynamisent l’activité économique.

De même, les autorités ont entrepris une série de réformes qui ont contribué à l’amélioration de l’environnement des affaires, notamment en ce qui concerne les simplifications en matière de création d’entreprises, le lancement de 12 nouvelles zones d’investissement, et une série de réformes touchant à divers domaines (finance, législation, cadre règlementaire, etc.), contribuant ainsi à l’attractivité du pays vis-à-vis des investisseurs étrangers.

C’est fort de ces réalisations que le pays tablait, avant la survenue de la pandémie du Covid-19, sur 200 milliards de dollars d’investissements privés sur 4 ans et une entrée nette des IDE d’environ 47 milliards de dollars sur la même période.

L’Egypte a récolté les fruits de ces réformes. La «dévaluation» de la livre en 2016 a amélioré la compétitivité de l’économie égyptienne en rendant les exportations égyptiennes beaucoup plus compétitives par rapport aux pays concurrents, et a permis d’attirer davantage d’IDE, de touristes et a gonflé en monnaie locale les importants transferts de la diaspora égyptienne, lesquels contribuent à entretenir la consommation des ménages.

Ainsi, grâce à la dépréciation de la livre égyptienne et au retour de la sécurité, l’embellie touristique a fait son retour dès 2017, avant d’atteindre 13 millions de touristes accueillis en 2019 pour 12,5 milliards de dollars de recettes.

De même, les IDE ont afflué vers l’Egypte, qui est devenue l’une des premières destinations d’IDE du continent, notamment grâce aux hydrocarbures, particulièrement grâce aux investissements dans le champ gazier de Zohr, qui a rendu l’Egypte autosuffisante en gaz.

Grâce aux découvertes, la production des secteurs de l’extraction de pétrole et de gaz ont fortement augmenté ces dernières années. En 2017-2018 et 2018-2019, ce sont ainsi 20 milliards de dollars qui ont été investis dans les hydrocarbures.

Grâce à ses investissements, l’Egypte et son partenaire italien ENI tablent sur une production de gaz portée à 8 milliards de pieds cubes par jours à l’horizon 2021, contre 2,7 milliards en 2019.

La balance des paiements s’est en conséquence fortement améliorée, devenant même excédentaire de 2,8 milliards de dollars en 2017-2018 grâce aux bonnes orientations des exportations, aux entrées des IDE et aux transferts de la diaspora égyptienne, qui ont atteint 27 milliards de dollars en 2019, et à la forte hausse des recettes touristiques qui se sont établies à 12,5 milliards de dollars l’année dernière.

Ainsi, les agences de notation internationales, notamment Fitch, et Moody’s, tablaient sur un taux de croissance de l’ordre de 5,5% en moyenne pour 2020 et 2021, soit le taux de croissance le plus dynamiques de la région MENA, avant la survenue de la crise sanitaire du Covid-19 et ses conséquences économiques. L’objectif du gouvernement est désormais d’atteindre un taux de croissance de 8% à l’horizon 2023.

Le déficit budgétaire a continué à s’améliorer passant à 9,7% en 2018 à 8,2% en 2019 et les projections tablaient sur 7,6% en 2020, grâce notamment à la baisse des charges d’intérêt de la dette, une baisse des subventions publiques et une meilleure amélioration des recettes fiscales, suite aux reformes mise en place sous l’égide du FMI.

De même, le déficit de la balance des opérations courantes était tombé à 2,3% du PIB en 2018, grâce notamment à l’amélioration de la balance commerciale et à celle des services dans le sillage de la hausse des transferts de la diaspora égyptienne, des IDE et des recettes touristiques.

Conséquence de ces améliorations: les réserves de change se sont fortement améliorées au cours de ces dernières années, pour atteindre un pic de 45 milliards de dollars à fin 2019, assurant 8 mois d’importations de biens et services, contre 14,9 milliards de dollars en 2014.

Le Covid-19 a freiné cette hausse, ramenant ces avoirs extérieurs à hauteur de 42 milliards de dollars à fin juin 2020.

Parallèlement, l’inflation s’est inscrite sur un trend baissier. Après avoir atteint plus de 30% en fin 2016, celle-ci est tombée à 14,4% en 2018 avant de s’établir autour de 5,9% actuellement.

Parallèlement à l’assainissement de l’économie égyptienne et à son dynamisme, la livre égyptienne a commencé à s’apprécier vis-à-vis du dollar. Ainsi, après avoir perdu plus de 53,80% de sa valeur en décembre 2016 (le 20 décembre, il fallait 19,22 livre pour un dollar contre 8,8802 livres le 3 novembre), après la «dévaluation», la livre a regagné du terrain et il faut actuellement 15,973 livres pour un dollar (selon les cours du vendredi 24 juillet 2020).

Une appréciation qui se justifie par la dynamique de l’économie égyptienne au cours de ces trois dernières années. 

Seulement, cette appréciation beaucoup plus rapide que prévu de la livre ne fait pas plaisir aux autorités, du fait qu’elle fait perdre à l’Egypte son attractivité auprès des touristes, et des investisseurs étrangers et détériore un peu la compétitivité de ses exportations.

La croissance enregistrée au cours de ces dernières années a permis la création de plus de 4 millions d’emplois, faisant baisser le taux de chômage à 8,9% en début 2019.

Toutefois, si le dynamisme de l’économie égyptienne est une réalité, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a pas bénéficié à toute la population. Les créations d’emplois restent faibles face à la demande d’une population dépassant la barre des 100 millions d’habitants et dont le pouvoir d’achat s’est érodé avec la baisse des subventions et la flambée des prix.

Suite à la dévaluation, l’inflation avait atteint 30%, avant de tomber à 20,9% en 2018, à 13,9% en 2019, et devrait se situer autour de 5,9% à fin 2020.

Cette situation a réduit le pouvoir d’achat d’une partie importante de la population et augmenté la pauvreté dans le pays. En 2019, 32,5% de la population égyptienne, soit plus de 30 millions d’habitants, était classée comme «pauvre».

Par ailleurs, l’endettement a progressé à un rythme effréné durant les 5 dernières années. Outre le prêt de 12 milliards de dollars sur 3 ans auprès du FMI, l’Egypte a continué à fortement s’endetter auprès du marché international des capitaux. Du coup, le ratio dette publique/PIB d’endettement du pays avait atteint un pic de 103% en 2017, avant d’entamer sa décrue dans le sillage de l’amélioration du PIB et des remboursements du service de la dette pour tomber à 84,9% en 2019.

Toutefois, le Covid-19 a chamboulé la donne et l’Egypte, à l’instar des autres pays du continent, a sollicité les institutions internationales pour faire face à la crise sanitaire et à la relance de son économie. Le FMI a décidé d’accorder au pays un nouveau programme de 5,2 milliards de dollars sur 12 mois, dans le but de combler les déficits budgétaires et ceux de la balance des paiements occasionnés par les effets de la pandémie du Covid-19.

Avec un PIB en quasi-stagnation et un recours important à l’endettement, le taux d’endettement du pays devrait exploser cette année, et constituer un goulot d’étranglement pour l’économie égyptienne dans les années à venir, sachant que le service de la dette absorbe 70% des impôts payés par la population.

In fine, le Covid-19 a freiné l’élan de la croissance de l’économie égyptienne. Alors que le pays devrait enregistrer une croissance du PIB comprise entre 5,5% et 6% et 2020 et 2021 et environ 8% à l’horizon 2023, les perspectives économiques seront amoindries à cause des impacts de la crise sanitaire sur certains secteurs-clés, dont le tourisme et les importants transferts de la diaspora.

Une situation qui risque d’accroître la pauvreté qui touche un pan important de la population égyptienne, et qui n’a pas tiré profit des fruits de la croissance enregistrée au cours de ces dernières années.

Par Moussa Diop
Le 26/07/2020 à 13h07, mis à jour le 26/07/2020 à 13h26