Les guerres civiles et exactions de nombreux groupes armés depuis 20 ans ont relativement épargné cette zone forestière. C’est là qu’une poignée d'investisseurs privés ont décidé de miser sur un potentiel agricole immense mais encore largement inexploité dans ce pays, le deuxième le moins développé au monde selon l'ONU.
Il est rare de voir passer un camion de marchandises sur la route de Mbaiki, le chef-lieu de la Lobaye, à Bangui, le seul axe goudronné de la région, et encore plus rare d’y apercevoir une plantation. Le bitume fait office de séchoir à manioc pour les villageois.
Urgence alimentaire
Malgré d’abondantes ressources en eau et des millions d’hectares de terres arables, la Centrafrique souffre de la faim. Près de la moitié de la population s’y trouve en état d’urgence alimentaire, selon l'Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO).
Une situation héritée de décennies de conflits armés et de mauvaise gouvernance, dans un pays où l’extraction de minerais accapare les ambitions politiques et offre des revenus plus immédiats aux jeunes non qualifiés. Même l'agriculture vivrière est à peine développée: le manioc, la base des repas, est aux deux-tiers importé.
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Les millions déversés par les organisations internationales en aide alimentaire sont perçus par nombre de Centrafricains comme des réponses d’urgence au détriment du développement.
«On ne peut pas venir distribuer des vivres gratuitement et demander à quelqu'un d’aller travailler. C’est lui inculquer une mentalité d’assisté», fustige Raed Harriri, directeur général de l’entreprise Palme d’or, unique représentante d’envergure du secteur agroalimentaire. Un discours régulièrement entendu chez les petits exploitants.
Libanais d’origine, né et éduqué en Centrafrique, Raed Harriri y est une figure bien connue. Il défend un modèle de développement pragmatique guidé par les investissements privés qui ne renie pas le profit mais offre des débouchés aux agriculteurs locaux en développant la transformation des produits.
"Politique de proximité"
«Nous prônons une politique de proximité. Il faut aller vers les petits producteurs, les former, les réunir en coopérative et mettre des moyens à leur disposition, puis on rachète leur production. Et s’ils ont du mal à gérer leur budget entre deux cycles de récolte, on leur garantit des emprunts auprès d'organismes de microfinancement», explique-t-il.
Qu’importe un climat des affaires réputé difficile et la proximité d'acteurs armés peu fréquentables. «Il suffit de connaître les réseaux et les habitudes», assure-t-il dans son bureau où les portraits de Thomas Sankara, héros panafricain, jouxtent celui de l'actuel président centrafricain Faustin Archange Touadéra, qu’il rencontre régulièrement.
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La société mère de Palme d’or, Al Sahely, a été accusée par des ONG d’avoir payé des milices pour protéger ses activités au début de la guerre civile en 2013. Mais elle reste aujourd’hui l'une des seules pourvoyeuses d'emploi dans l'agroalimentaire.
Avec ses machines qui ronronnent, ses fumerolles qui s’élèvent dans des puits de lumière entre des silos emmaillotés de câbles et de gaines, l'usine Palme d'or à Bangui offre un tableau peu habituel dans un pays au tissu industriel quasi-inexistant.
Hérité de la colonisation française, le secteur agricole basé sur l’exportation de produits non transformés n’a pas résisté aux fluctuations des cours mondiaux après l'indépendance en 1960.
«Produire pour exporter des produits bruts, ce n’est pas la bonne méthode», plaide Jean-Luc Tété, Franco-Centrafricain qui a fait le pari de développer l'agriculture dite «régénératrice» dans la Lobaye. Une technique qui permet de laisser reposer les sols fatigués par les feux de brousses incessants, que les chasseurs allument pour traquer le petit gibier.
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«On associe les cultures, on évite les labours profond, et on industrialise des savoirs agricoles traditionnels, ce qui fait qu’on n’utilise pratiquement pas d'engrais. Cela permet d’avoir des coûts de production extrêmement faibles», explique ce chef d’entreprise qui ambitionne de créer un modèle exportable en Afrique.
Des particuliers issus de la diaspora sont de plus en plus nombreux à tenter un retour à la terre.
«Mais il faut se faire accepter», rappelle Tété dont le quotidien implique de longues discussions avec les autorités traditionnelles. «Ce sont les chefs de village qui déterminent les endroits où on peut s’implanter, et 20% des profits sont investis dans l’éducation, la santé et les infrastructures», assure-t-il.
«C’est un partenariat», renchérit Jean Claude Silakamako, chef de village au sortir de la réunion du jour. «Nous offrons nos sols, nos intelligences aussi, maintenant c’est à eux de venir nous accompagner».