Exportations en hausse, activisme diplomatique... la Turquie est parvenue à renforcer son ancrage au Maghreb, en phase avec la politique étrangère revendiquée par le président Recep Tayyip Erdogan, malgré un contexte de difficultés économiques internes.
Son influence y est "en forte croissance depuis quelques années même si la communication ne s'affiche pas toujours", dit Pierre Vermeren, historien spécialiste de la région.
La Turquie mène une "stratégie d'ouverture vers l'Afrique", ajoute Ali Bakeer, analyste politique turc.
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Le Maghreb fait office de tête de pont.
"Ce n'est pas chose nouvelle mais les développements régionaux et internationaux actuels semblent offrir des opportunités", ajoute M. Bakeer.
Politico-militaire en Libye, la stratégie d'influence turque est commerciale et/ou politique en Algérie, en Tunisie et au Maroc, aire démographique qui approche les 100 millions d'habitants.
En Libye, Ankara s'est imposée comme le principal soutien du gouvernement de Tripoli (GNA), reconnu par l'ONU, face au camp de l'Est incarné par Khalifa Haftar et soutenu par les Emirats arabes unis, l'Egypte et la Russie.
L'influence turque dans ce pays en proie au chaos est une "réalité militaire extrêmement importante", observe Jalel Harchaoui, chercheur à l'institut néerlandais Clingendael.
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"La Turquie possède la plus grande base militaire à la frontière tunisienne, une base navale et des camps de mercenaires syriens", précise-t-il.
Elle s'est renforcée après l'échec de l'offensive sur Tripoli lancée en 2019 par Khalifa Haftar, au cours de laquelle le soutien d'Ankara a été déterminant pour le GNA.
- "Avenue" libyenne -
"Les Emirats ont lancé une offensive car ils voulaient une hégémonie totale. Ils ont creusé une avenue" dans laquelle la Turquie "s'est engouffrée", dit M. Harchaoui.
Si Abou Dhabi --soutenu par Paris-- se présente comme un rempart contre l'islam politique, la Turquie et son allié qatari sont réputés proches des Frères musulmans --considérés comme "organisation terroriste" par plusieurs pays arabes dont l'Egypte--, chacun essayant d'imposer son projet régional.
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Ankara s'appuie aussi sur un accord militaire signé il y a un an avec Tripoli pour revendiquer un plateau continental étendu où la Turquie mène des explorations gazières, au grand dam des autres pays de Méditerranée orientale.
L'Union européenne l'a sanctionnée pour ces activités "agressives", décision jugée "biaisée et illégitime" par Ankara.
En Libye, la Turquie "essaye de tirer parti de son investissement militaire pour exercer une influence politique et économique", souligne Emadeddin Badi, analyste à la Global Initiative.
En Tunisie voisine, l'influence turque se traduit surtout par une nette hausse des importations, poussant des industriels à se plaindre de cette concurrence de produits à bas prix. Un accord de libre-échange signé en 2004 a été modifié et des taxes réintroduites en 2018.
Ces importations augmentent notamment dans le secteur militaro-sécuritaire tunisien.
La présence turque est aussi indéniable en Algérie: Ankara est devenue en 2017 le premier investisseur étranger --hors hydrocarbures--, aux dépens de la France. Les deux pays ont convenu de porter leurs échanges commerciaux à 4,1 milliards d'euros annuellement.
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La Turquie est le troisième client de l'Algérie, derrière l'Italie et la France. Plus de 1.200 entreprises turques y sont implantées, selon Ankara.
M. Erdogan s'y est rendu début 2020, peu après une visite à Tunis.
La Turquie se montre aussi intéressée par la rénovation d'ouvrages ottomans, comme la mosquée Ketchaoua d'Alger, en 2017.
- "Succès d'estime" -
Au Maroc, les échanges commerciaux sont déséquilibrés depuis l'accord de libre-échange de 2006. Le déficit a atteint environ 1,6 milliard d'euros en 2019, le textile marocain étant grandement touché.
"Les Turcs ont inondé le marché (...) et tué de nombreuses marques", tempête un industriel local.
Ce déséquilibre a poussé Rabat à introduire des droits de douanes.
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En quête de soutiens pour ses actions diplomatiques, notamment en Libye, la Turquie fait dans ce domaine face à la tradition de neutralité des trois pays.
Ses tentatives d'influencer la diplomatie tunisienne ont entraîné de violents échanges au Parlement.
Au Maroc, l'unique visite officielle de M. Erdogan remonte à 2013. Il était alors Premier ministre et n'avait pas été reçu par le roi Mohammed VI, malgré l'insistance du Parti justice et développement (PJD, islamiste) qui l'avait invité.
Dans ces pays, "toute une part de la jeunesse voit dans l'exemple turc un modèle d'indépendance", explique M. Harchaoui, évoquant toutefois un "mythe" car Erdogan ne se risque pas à critiquer la Chine ou la Russie.
"Après Nasser, Saddam, Arafat" entre autres, "il y a un autre personnage méditerranéen qui insulte l'Europe, se présente en défenseur des musulmans", relève Pierre Vermeren.
"C'est un succès d'estime" mais "qui ne correspond pas à une influence profonde", nuance-t-il, alors que l'islam politique paraît en perte de vitesse dans la région.