Industrie aéronautique: que pèse réellement l’Afrique?

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Le 07/10/2019 à 12h42, mis à jour le 07/10/2019 à 21h17

A l’évidence, l’Afrique est peu intégrée dans la chaîne aéronautique mondiale. Seuls trois pays du continent en font partie. Pourquoi le Maroc et la Tunisie sont-ils des leaders africains? Explications.

Entre 2017 et 2035, les pays africains, pris globalement, devraient acquérir un peu plus de 1.100 nouveaux avions. Bien que la quasi-totalité des pays du continent soient des consommateurs finaux de la chaîne de valeur aéronautique, il faut tout de même souligner que l’Afrique reste, à aujourd’hui, très peu représentée dans l’industrie aéronautique.

Seulement trois pays du continent ont réussi à intégrer cette industrie d’élite, et ont relevé le défi d’intégrer la chaîne aéronautique mondiale. Il s’agit de l’Afrique du Sud, du Maroc et de la Tunisie. Dans ces trois pays sont aujourd’hui fabriqués ou assemblés de plus en plus de composants intégrés dans l’assemblage des parties ou des avions des leaders mondiaux du secteur aéronautique mondial: Boeing, Airbus, Bombardier, Safran, Thalès, Embraer...

Il faut dire qu’avec des contrats dans les diverses parties du monde, qui totalisent, en tout, 40.000 avions à construire d’ici 2035, il y a largement matière à relever le défi afin de mieux intégrer la chaîne de valeur de l’industrie aéronautique mondiale.

Maroc: le pays le plus intégré à la chaîne de valeur aéronautique mondial

A cet égard, le Maroc a réalisé, ces dernières années, une grande percée dans le secteur très prisé de l’industrie aéronautique. Le pays est devenu l’un des hubs du continent par excellence dans ce domaine à la technologie de pointe. 

En l’espace de 20 ans, en effet, le nombre d’entreprises du secteur qui se sont implantées dans le royaume est passé de 3 à plus de 140 actuellement, lesquelles fournissent aux géants mondiaux du secteur aéronautiques (dont Boeing, Airbus Bombardier, Dassault) les composants et les pièces nécessaires à l’assemblage d’avions.

Parmi ces entreprises, figurent Safran, EADS (Airbus), Boeing, UTC, Le Piston, Stelia, Souriau, Eaton Aerolia, Alcoa, Lisi Aerospace, Latécoère, Figeac Aero, Daher, Hexcel, Figeac Aéronautique –leur liste est longue, et elles sont toutes regroupées dans le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (Gimas). On y compte aussi quelques entreprises locales, dont des PME de chaudronnerie et de traitement de surface ou d’usinage.

Seule ombre à ce tableau, l’annonce du retrait du Canadien Bombardier, qui a annoncé au début de l’été dernier céder son unité de Casablanca à un autre acteur, dans le cadre de sa stratégie de recentrage de son métier sur les avions d’affaires.

Mais cette visibilité place désormais le Maroc dans les radars de l’industrie aéronautique mondiale, avec les implantations de géants du secteur et des commandes record, de la part d’Airbus et de Boeing, avec la montée en puissance de leurs programmes, tels l’A320neo, le B777X, l’A350, et d’autres appareils.

Le secteur compte à son actif actuellement 6 écosystèmes aéronautiques opérationnels: câblage, assemblage, ingénierie, maintenance, moteurs et matériaux composites, et l’industrie a réalisé ces dernières années la plus forte croissance de l’industrie marocaine, avec une progression annuelle moyenne de son chiffre d’affaires de l’ordre de 17-18%. C’est quatre fois plus que la moyenne mondiale, et plus de cinq fois la progression du PIB du royaume.

Avec ce bond quantitatif et qualitatif dans l’aéronautique, le Maroc est désormais actuellement en mesure d’exporter plus de 1,5 milliard d’euros de composants d’avions, soit l’équivalent de 5,6% du montant global des exportations du pays. En 2018, le royaume s’est classé au premier rang des exportateurs de produits aéronautiques en Afrique.

De fait, le secteur, fortement pourvoyeur d’emplois, emploie actuellement quelques 17.000 personnes et le taux d’intégration du Maroc se situe à un niveau appréciable de 34%. L'objectif est de porter ce taux à 42% au terme du Plan d'accélération industrielle 2014-2020.

Si le Maroc est devenu le premier pays africain de l’industrie aéronautique africain, c’est grâce à la conjonction de plusieurs facteurs, dont ses atouts caractéristiques: libéralisme, stabilité, proximité géographique et maîtrise d’une supply chain performante.

De plus, le royaume a réussi à attirer de nombreuses entreprises étrangères grâce à une politique incitative, et à la mise en place d’une zone franche aéronautique de 63 hectares, implantée à proximité de l’aéroport Mohammed V de Casablanca. Le Midparc, inauguré en 2013, a entre-temps été agrandi pour accueillir davantage d’entreprises.

Celles-ci bénéficient également de ressources humaines de qualité. Chaque année, en effet, entre 3.000 et 3.300 jeunes sont formés par l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA) ou par l’Institut spécialisé des métiers de l’aéronautique et la logistique aéroportuaire (Ismala) de l’OFPPT.

De plus, le secteur est considéré comme stratégique et figure parmi les métiers auxquels une attention particulière est accordée à l’instar de l’automobile ou encore de l’offshoring.

Le Maroc devrait accentuer encore davantage son avance grâce à un accord de partenariat signé en septembre 2016 avec l’avionneur américain Boeing, visant à créer un «écosystème industriel». A terme, tout un réseau de sous-traitants sera localement implanté.

Une dizaine de fournisseurs directs et indirects du géant de Seattle ont, dans la foulée, signé des protocoles d’accord pour s’implanter au Maroc et faire partie de cet écosystème industriel, dont Hutchinson et TDM Aerospace.

A terme, ce sont 120 nouveaux fournisseurs qui feront partie de cet écosystème, qui devrait réaliser un chiffre d’affaires annuel de plus de 1 milliard de dollars supplémentaire à l’export, et créer 8.700 emplois.

Chaque année, le pays accueille en moyenne 10 nouveaux entrants, lesquels sont spécialisés dans des métiers de plus en plus complexes. Désireux de s’intégrer davantage dans cette chaîne de valeur, le royaume diversifie son offre aéronautique en s’inscrivant dans les matériaux du futur. C’est ainsi que le Français Thales vient d’implanter une petite unité d’impression en 3D métallique, pour des pièces ultra-techniques d’avions ou de satellites, ou encore que l’américain Hexcel vient d’ouvrir au Maroc une unité de composites en forme d’alvéoles d’abeilles.

Tunisie: un écosystème intégré, constructeur et exportateur d’avions

La Tunisie, de son côté, est en concurrence frontale avec le Maroc dans plusieurs domaines de l’industrie aéronautique. Toutefois, au cours de la décennie écoulée, le pays a été quelque peu freiné dans son élan par la révolution de 2011, l’insécurité ainsi que la crise économique et sociale qui en ont été consécutives.

Toutefois, l’industrie aéronautique tunisienne continue à être attractive et le pays a su bâtir un écosystème relativement comparable à celui du Maroc. L’offre aéronautique de Tunisie couvre un large éventail, allant des services de conception et d’ingénierie (développement de logiciels, composants électroniques, etc.), de la production proprement dite (système électrique et câblage, matériaux composites, fonderie et usinage mécaniques, tôlerie fine, assemblage d’avions, etc.), en passant par la maintenance aéronautique ou encore le décolletage et l’usinage de haute précision (réparation de moteur, transformation et modification, etc.).

Le secteur industriel aéronautique tunisien compte actuellement 85 entreprises, présentes sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la sous-traitance aéronautique, et qui emploient plus de 17.000 personnes. Parmi celles-ci figurent Latécoère, Safran, Paradigm Precision, Sabena Technics, Zodiac Aerospace, Stelia (Airbus), Altran, Telnet, Hutchinson, Lacroix Electronics, Techniprotec Metal, Vignal Artru, AD Industrie…

Ces entreprises sont regroupées au sein du Groupement des industries tunisiennes aéronautiques et spatiales (Gitas) et une bonne partie d’entre elles est implantée dans le parc aéronautique intégré d’El Mghira, d’une superficie de plus de 200 hectares, situé dans la zone industrielle de Ben Arous, à 20 km au sud de la capitale. Ce parc est doté, depuis mai 2017, d’un Centre d’excellence dans les métiers de l’industrie aéronautique (CEMIA).

Ce parc intégré et autonome fonctionne sur des systèmes imbriqués, en mode Lean manufacturing, du fournisseur de matières premières jusqu’au logisticien qui gère mensuellement un ensemble de 3 millions de pièces, et une cinquantaine de camions et plus de 300 meubles électriques pour les Airbus A320, A330 et A350.

Unique au monde, ce modèle est actuellement en passe d’être dupliqué dans d’autres pays de la planète.

Parmi les pièces et les parties exportées par la Tunisie figurent des hélices et des rotors, des trains d’atterrissage, des pièces en plastique et en tôlerie fine...

Les exportations sont principalement destinées à la France (Airbus notamment), aux Etats-Unis (Boeing) et au Royaume-Uni. Il faut noter que la structure basse, ou avant, de tous les avions Airbus A320 et A330 est exclusivement produite en Tunisie avant d’être acheminée en France pour son assemblage.

La Tunisie bénéficie de certains avantages dont le faible niveau des coûts salariaux, et un prix du foncier moins élevé, comparativement au Maroc, en plus de sa proximité géographique avec l’Europe. Autre atout du pays: sa main-d’œuvre qualifiée et abondante, grâce à des formations adaptées, des infrastructures moderne, une supply chain intégrée et un cadre règlementaires adapté.

L’amélioration des conditions sécuritaires et les incitations avantageuses apportées par l’Etat tunisien ont par ailleurs permis au secteur de retrouver aujourd’hui son dynamisme d’antan avec un taux de croissance de 20% par an au cours de ces dernières années et un chiffre d’affaires à l’export dépassant les 500 millions d’euros.

En ce qui concerne les perspectives de croissance de l’industrie aéronautique tunisienne, celle-ci affiche ses ambitions d’attirer davantage d’entreprises du secteur avec cet objectif: porter le chiffre d’affaires à l’export à 2 milliards d’euros pour 30.000 emplois à l’horizon 2025.

Au-delà de l’intégration de la chaine de valeur de l’industrie aéronautique mondiale, il faut aussi souligner que la Tunisie s’est positionnée sur le créneau de la fabrication des petits avions. La société Avianov, basée à Sousse, construit et exporte ainsi des avions légers de 2 à 4 places (des «coucous») ayant un rayon d’action de 1.600 kilomètres.

Une centaine d’exemplaires de ces coucous ont ainsi d’ores et déjà été exportés par la Tunisie dans une vingtaine de pays: dans l’Italie voisine, en Espagne, en France, au Royaume-Uni, mais aussi au Maroc, en Arabie Saoudite ou encore en Algérie. 

Ces appareils servent notamment à des déplacements sur de courtes distances, mais aussi à la diffusion de banderoles de campagnes publicitaires, à des opérations de contrôles aériens, à des épandage de pesticides, ou encore à des formations de pilotes.

Mais la Tunisie exporte aussi des avions légers fabriquées localement par l’entreprise tunisienne Evada Aircraft S.A. Il s’agit d’aéronefs amphibies de 4 places fabriqués en partenariat avec l’avionneur tunisien Avionav. Cet appareil a un rayon d’action de 1.674 km et peut atteindre une vitesse de croisière de 238km/h.

L’existence de ces deux entreprises sur le sol tunisien confirme ainsi la volonté du pays de se spécialiser dans la fabrication d’avions de petites tailles.

Afrique du Sud: le pionnier de l’industrie aéronautique versus militaire

Sur les terres australes du continent, loin du Maghreb, l’Afrique du Sud est pionnière de l’industrie aéronautique en Afrique. Le premier avion entièrement conçu par le pays arc-en-ciel a été présenté en septembre 2011, fruit d’une collaboration entre le groupe aéronautique Aerosud et le groupe de défense sud-africain Paramount.

Le pays peut donc se targuer d’un taux d’intégration de 100%, mais il convient toutefois de noter que ce premier appareil à 100% made in South Africa est un petit avion à usage militaire, qui ne peut accueillir que deux personnes –un pilote et son co-pilote.

Bien que l’Afrique du Sud ait mis l’accent sur l’industrie aéronautique militaire, il n’en demeure pas moins que le pays a tiré parti de son expérience dans ce domaine pour intégrer la chaîne de valeur de l’aviation civile.

Le fanion de ce développement est sans conteste Aerosud, une société d’ingénierie et de fabrication aéronautique, créée en 1990 par les concepteurs d’alors d’un hélicoptère sud-africain, le Denel Rooivalk.

Cette société s’est développée depuis, et fabrique actuellement plus de 2.000 pièces et assemblages par jour, au profit des chaînes d’assemblages d’Airbus, de Boeing et d’autre acteurs de l’industrie aéronautique civile, militaire et de l’aérospatiale (BAE Systems, Augusta Westland Helicopters, etc.).

Les activités d’Aerosud couvrent divers domaines: la conception, le développement, le prototypage, la fabrication et le support technique, et la société est d’ailleurs aussi, celle qui a conçu et qui fabrique les intérieurs de l’Airbus A400M.

Par Moussa Diop
Le 07/10/2019 à 12h42, mis à jour le 07/10/2019 à 21h17