Sénégal: Magal 2016, environ 3 millions de pèlerins convergent vers Touba

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Le 17/11/2016 à 15h09, mis à jour le 17/11/2016 à 16h35

Une semaine durant, Touba, la capitale du mouridisme, devient tout simplement la capitale politique et spirituelle du Sénégal. Hauts responsables politiques, hommes d’affaires et simples citoyens, personne ne veut rater ce rendez-vous qui draine annuellement autour de trois millions de fidèles.

Comme lors de la Tabaski, Dakar, la capitale sénégalaise, a commencé à se vider de sa population au profit de Touba, la deuxième ville du pays. Dans les marchés, les usines, les centaines d'ateliers artisanaux comme dans les bureaux, l’effervescence du Magal se fait sentir. Certains membres de «dahiras», ou cercles religieux, cotisent pour louer un bus, d’autres partent en famille ou entre simples amis.

L'un des plus grands rassemblements

Diop, chauffeur dans une société de la place, est excité : «J'ai déjà déposé ma demande de permission, je compte rallier Touba dès jeudi soir ou vendredi, au plus tard». «Aucun mouride ne veut manquer le Magal de Touba», souligne Fara. Le Magal correspond au départ en exil au Gabon de Cheikh Ahmadou Bamba en 1895. Le fondateur du mouridisme a demandé aux fidèles musulmans de «rendre grâce», avec lui, à Allah. C'est ce 18 safar, date du début de toutes ses souffrances, qu'Allah lui aurait consenti tous ses dons. Le Magal de Touba est ainsi né. Il serait devenu «l'un des plus grands rassemblements religieux du monde», drainant jusqu'à trois millions de personnes.

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Cependant, en l’absence de chiffres officiels, il est difficile d’estimer le nombre de fidèles ou de simples touristes qui se rendent à Touba lors de cet événement, mais certaines sources soutiennent que le Magal draine autant de pélerins que la Mecque lors du Hajj qui correspond au cinquième pilier de l'islam. Ce qui est sûr, c’est que des milliers de fidèles viennent de toutes les régions du Sénégal et des quatre coins de la planète. La forte diaspora mouride, établie un peu partout dans le monde, notamment en France, en Italie, en Espagne et aux Etats-Unis, vient en masse pour célébrer le Magal. Ceux qui ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, rallier Touba, ne manquent pas de le célébrer chez eux. Depuis quelques années, le Magal est même devenu un jour férié au Sénégal.

Générosité

La commémoration consiste en une psalmodie du Coran et une déclamation de «Qassâides», des poèmes écrits par Serigne Touba à la gloire d'Allah et de son Prophète Mohamed (PSL), ainsi qu’en un recueillement aux mausolées des saints qui reposent dans la ville de Touba. L’autre dimension du Magal consiste en une sorte de générosité et le don de soi. Il est recommandé à chaque fidèle, selon ses moyens d’offrir des victuailles, appelées "berndé" en wolof, avec des mets succulents, aux milliers de visiteurs. Rien n'est aussi petit, fut-ce un poulet, rien n'est trop grand, fut-ce un chameau, aurait dit Serigne Touba. Pour beaucoup de mourides, ce que l'on gagne durant l'année dépend de ce l'on aura dépensé pendant le Magal. C’est pourquoi ils rivalisent de générosité durant le Magal.

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Ballet d’hommes politiques

En attendant, depuis le début de la semaine, on assiste à un ballet d’hommes politiques venus renouveler leur allégeance au khalife général des mourides ou tout simplement effectuer une «ziara». Ce qui occasionne souvent des rencontres inattendues entre rivaux du petit marigot politique sénégalais. Ainsi, lundi, la ville sainte du mouridisme a été le théâtre d’une accolade entre Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste (PS) et président du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) et son rival dans le même parti, Khalifa Sall, le maire de Dakar. Une image qui a fait le buzz, tant la rivalité (pour le contrôle de l’appareil du parti) entre les deux hommes est grande ces derniers temps.

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Hier, c’était au tour de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck. Le leader de Rewmi (parti d’opposition) n’a visiblement pas retenu les fermes instructions du khalife général, Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, de ne point parler de politique dans la ville sainte, puisque sa langue a encore fourché. Il a profité de cette exposition médiatique pour fustiger le régime de Macky Sall, notamment le «sabotage» que constitue, à ses yeux, le renouvellement des cartes d’identité et d’électeurs. L’année dernière, alors qu’il était venu présenter ses condoléances au khalife général des mourides suite au décès d’une de ses épouses, «Idy» avait choqué la communauté en profitant de l’occasion pour dénoncer le «deal» sur la libération de Karim Wade, un dossier dans lequel Touba avait joué les bons offices.

Macky Sall attendu à Touba aujourd’hui

Abdoulaye Baldé (Union des centristes sénégalais - UCS) était aussi à Touba pour démentir la rumeur qui voudrait qu’il s’apprête à rejoindre le camp du président Macky Sall. «Même si en politique, on ne dit jamais jamais», prend-il le soin de préciser. Karim Wade est sans doute l’absent le plus présent à Touba au sein de la classe politique. L’ancien ministre, Me Madické Niang, un de ses partisans, a profité de l’événement pour annoncer le retour imminent de Wade-fils au Sénégal, actuellement en «exil forcé» à Doha, au Qatar. Le président Macky Sall qui, évidemment, ne pouvait manquer le rendez-vous de Touba, y est attendu ce jeudi pour un séjour de deux jours. Ses partisans ont d’ores et déjà sonné la mobilisation pour lui réserver un accueil singulier.

Touba, centre du pouvoir politique

Si tout ce beau monde se sent obligé d’aller à Touba, c’est à cause de l’influence sociale et politique primordiale du khalife général des mourides. Beaucoup d’hommes politiques estiment en effet qu’il est impossible de conquérir le pouvoir -ou de gouverner- sans l’appui de Touba.

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Une conviction qui se vérifie à l’aune de l’histoire politique du Sénégal. En effet, des années 1940 à 1980, Senghor s'est constamment appuyé sur Touba. En 1962, il est sorti vainqueur de son bras de fer avec Mamadou Dia et a pu consolider son pouvoir grâce à l’appui des chefs religieux confrériques du Sénégal, notamment le khalife général des mourides de l’époque, Serigne Falilou Mbacké. Au lendemain de son élection en 2000, Abdoulaye Wade, qui a toujours mis en avant son appartenance à la communauté mouride, s’était rendu à Touba. Pour rendre grâce à son guide religieux et fils de Cheikh Ahmadou Bamba, le chef de l’Etat d’alors s’était mis à genoux sur le tapis, alors que le marabout était assis sur un fauteuil. Une image qui avait fait beaucoup parler à l’époque. Au-delà des convictions personnelles des uns et des autres, c’est donc une sorte de caution morale que viennent chercher les hommes politiques à Touba.

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 17/11/2016 à 15h09, mis à jour le 17/11/2016 à 16h35