Décidément, la réussite de la mise en place d'une industrie de production de véhicules automobiles au Maroc ne plaît pas aux hauts responsables algériens. Après les multiples sorties médiatiques du ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, qui s'est montré très critique envers l’industrie du montage automobile en Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune lui-même s'en est pris à Renault, dans un entretien qu'il a accordé au Figaro, sur le site Internet de ce média français, hier, jeudi 20 février 2020.
La déclaration du président algérien est étonnante, puisque le constructeur automobile français est aujourd'hui le plus important parmi les ceux implantés sur le sol algérien, et sa production est celle dont le taux d'intégration est le plus élevé.
Abdelmadjid Tebboune est en effet visiblement dérangé par le fait que «l’usine Renault qui est ici n’a rien à voir avec celle qui est installée au Maroc», comme il l'a souligné dans cet entretien, au cours duquel il se demande «comment créer des emplois alors qu’il n’y a aucune intégration, aucune sous-traitance?» dans l'installation d'une industrie de construction automobile dans son pays.
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Au lieu de cela, dénonce le président algérien, «l’Algérie est vue par ses partenaires comme un grand marché de consommation. Nos maux viennent de l’importation débridée, génératrice de surfacturation, une des sources de la corruption favorisée par de nombreux pays européens, où se faisaient la bancarisation, la surfacturation, les investissements de l’argent transféré illicitement. Cela a tué la production nationale».
En plus clair, Abdelmadjid Tebboune veut que Renault installe en Algérie une unité similaire à celle de Tanger, au nord du Maroc, dont la production connaît un succès retentissant, non seulement sur le continent, ce qui a permis au Maroc de devenir le premier constructeur automobile de voitures pour particuliers en Afrique, en détrônant au passage l’Afrique du Sud, mais dont le succès est aussi devenu un modèle de compétitivité reconnu au niveau mondial. En effet, l'unité Renault de Tanger rivalise aujourd'hui avec celles implantées en Inde et en Chine.
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Très courroucé par le succès de Renault Maroc, le président algérien a choisi dans cet entretien d'ignorer sciemment que la concrétisation d'une stratégie étatique pour l'industrie automobile est une œuvre de longue haleine.
Il faut dire aussi que si le Maroc a fait de l’industrie automobile une composante fondamentale de sa stratégie industrielle, les dirigeants algériens ont plutôt fait de celui-ci un rempart contre les importations dans le seul but de réduire leur déficit commercial en obligeant les concessionnaires à se transformer en constructeurs automobiles.
Du coup, ce sont les oligarques proches du clan Bouteflika qui se sont engouffrés dans cette brèche, avec des importations déguisées de kits automobiles et des unités de montage sans aucune valeur ajoutée locale, comme celle, célèbre, de l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout qui ne montait localement que des roues sur des voitures importées.
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Pour bâtir son industrie, le Maroc avait en effet débuté ses premières activités d'assemblage dès le début des années 60, avec l'usine de la Somaca, à partir de pièces automobiles importées. Il s'agit là du stade dans lequel se trouve actuellement l’Algérie.
De plus, ce n'est qu'à partir des années 90 que le royaume a commencé à exiger de ses investisseurs étrangers un contenu d'intégration locale minimale dans leur production, et celle-ci était alors de l'ordre de 25 et 50%.
Le travail fourni par les fournisseurs et les sous-traitants des usines de construction automobile implantées au Maroc a abouti à des taux d’intégration dépassant désormais 50% pour la production des véhicules Renault dans son usine de Tanger.
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L'usine PSA à Kenitra, plus récemment implantée, a quant à elle pu bénéficier, dès sa mise en service, de la présence au Maroc de nombreux sous-traitants et fournisseurs de l'industrie automobile, et a pu débuter sa production de véhicules avec un taux d’intégration de l'ordre de 60%.
En 2018, Renault Maroc avait produit 340.000 véhicules dans son usine de Tanger, et 90.000 véhicules dans celle de Casablanca, soit une production de 430.000 véhicules au Maroc cette année-là.
Ce succès s’explique aussi par le fait que le royaume s'était doté, bien en amont, d'une stratégie pour la mise en place d'une industrie automobile dans le pays, sur une décision politique. Cette stratégie a su évoluer et s'adapter, au fur et à mesure des implantations des constructeurs automobiles.
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Si le Maroc a pu aboutir à ce résultat, c'est avant tout grâce à la mise en place d'un écosystème qui a été développé durant des décennies, et qui a attiré des fournisseurs de pièces automobiles de premier plan, à l'instar de Magneti Marelli (amortisseurs), Hands (jantes aluminium), Nexteer Automotive (systèmes de directions assistées et systèmes de transmissions), Ficosa (système de sécurité), Leoni (câbles et systèmes de câblages), etc.
L'écosystème automobile marocain compte désormais plus de 250 acteurs nationaux et internationaux, qui ont fortement contribué au succès de l'installation d'une industrie automobile au Maroc.
Autre facteur de ce succès: un environnement des affaires adéquat au Maroc, favorable à l’implantation de nombreux acteurs de l’écosystème automobile.
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Le classement Doing Business pour l'année 2020 permet d'ailleurs de se faire une idée plus précise au sujet de l’attractivité de l’Algérie comparée à celle du Maroc. Alors qu'en 2019, le Maroc s'est classé au 53e rang mondial, l’Algérie s'est quant à elle située à la 157e position, montrant ainsi très nettement la grande différence d'attractivité économique qui sépare ces deux pays pourtant voisins.
Pour progresser et améliorer son attractivité, l'Algérie devra nécessairement entreprendre des réformes en profondeur. A cet égard, l'annonce de la possible suppression de la règle dite des "51-49%", qui limite la part de participation d'un investisseur étranger dans une société de droit algérien à 49%, risque d'être de faible impact au niveau du secteur.
Cette mesure doit être suivie d'autres réformes, et l'Algérie devra aussi, pour améliorer son attractivité, réformer ses lois concernant la protection de la propriété privée, le transfert des dividendes pour les entreprises étrangères ou encore la protection de la propriété intellectuelle.
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La règle dite des "51-49%" mise en place en Algérie n'est en effet pas l'unique frein au fait que les investisseurs étrangers boudent ce pays. Pour preuve, et à titre d'exemple, au Maroc, la répartition du capital financier dans le cas de Renault Maroc n'a pas été déterminante dans l'implantation de ce constructeur automobile à Tanger, Renault France ne détenant que 52,4% du capital de Renault Maroc.
Ce n’est donc qu’avec un environnement des affaires favorable que l’Algérie pourra attirer des investisseurs étrangers et donc des fournisseurs et des sous-traitants du secteur automobile.
De plus, le succès d’une politique industrielle est aussi le résultat d’une politique économique globale. Et si la plateforme de production mise en place par Renault Tanger est aujourd'hui une réussite, c’est aussi grâce à une infrastructure portuaire d'envergure construite juste à proximité, par l'Etat marocain: le port de Tanger Med, véritable plateforme pour les exportations, à partir de zones franches où des industries se sont progressivement installées, mais aussi grâce à des formations adaptées des ressources humaines, etc.
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En Algérie, le grand port commercial en eau profonde d'El-Hamdania, pour lequel les autorités du pays prévoient une capacité de traitement de 6 millions de conteneurs, et dont la construction avait été annoncée en grande pompe en 2016, est toujours, quatre années plus tard, à l'état de projet.
Bref, au lieu de tenter d'imiter le modèle aujourd'hui réussi du secteur automobile au Maroc, le président algérien Abdelmadjid Tebboune se lance dans des critiques et des options hasardeuses.
Au quotidien français, Abdelamadjd Tebboune a martelé: «nous allons par exemple arrêter l’importation de kits automobiles».
Or, cette décision avait été prise par l’ancien gouvernement dirigé par Noureddine Bédoui, et s’est ensuite matérialisée par l’arrêt de la production d'unités de montage local. Cette situation avait d'ailleurs poussé ce gouvernement à autoriser à nouveau le recours aux importations de véhicules d’occasion.
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Ce que le président algérien feint d’oublier, c’est que l'implantation d’une industrie aussi technologique que capitalistique qu'est l'industrie automobile ne se décrète pas.
C’est avant tout le résultat d’une politique industrielle murie et préalablement réfléchie, qui se construit sur des décennies. Vouloir brûler les étapes mène droit à l’échec. Ce fut d'ailleurs le cas du résultat des politiques menées par les prédécesseurs de l'actuel président algérien.